Et si, pour une fois, on leur donnait la parole ? Saison 2 Episode 8

Et si, pour une fois, on leur donnait la parole ?

Saison 2 Episode 8

Des interviews.
Mais pas les habituelles rengaines egocentrées des auteurs.
Parce que, finalement, dans un roman, qui va au charbon ? Le personnage !

Et si on leur donnait la parole ? S02E07

par Nick Gardel

« Quand j’ai tenté de contacter James Hawkins pour donner la parole à ce personnage d’Olivier Bal, je ne pensais pas enclencher une telle cascade événements. Loin de refuser mon invitation, on m’a demandé de fournir les questions par écrit puis laissé sans aucune nouvelle. J’avais donc oublié cette curieuse prise de contact, quand m’est parvenue une retranscription complète. Elle est suffisamment étrange pour que je vous la livre dans son intégralité… »

 

« C-O-N-F-I-D-E-N-T-I-E-L »

 

Mission K27 / Projet Limbes / Nom de code : MK-Limbes

Test psychologique n°17 sur l’Eveillé James Hawkins.

Top Secret (A)

 

Renseignement / Espionnage à distance / Recherche et développement

Collection : NACP

Numéro du document ISOO / ESDN (CREST) :

CIA-RDP80V01137D000100010014-1

Date de création du document : 28 février 1972 / MAJ : 15 janvier 1973

Soumis par : L25X1

Pays : Etats-Unis / Alaska

Période : Septembre 1971 – Octobre 1971

Position : 200 kms nord-ouest Galena

65°42’29.4″N 157°38’01.6″W

Responsables du projet : DO John Lettinger / Dr Friedrich Kleiner

 

Note : Sont notifiés en italique, les passages où la voix de James Hawkins change notablement, comme si quelqu’un d’autre parlait à travers lui.

 

Début de l’enregistrement.

 

Bonjour, c’est assez rare de pouvoir recevoir un personnage de roman.
Pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour. Je… Professeur Kleiner, c’est bien vous là, derrière cette vitre sans teint ? C’est l’un de vos tests psychologiques, c’est ça ? Bon, je vais jouer le jeu, mais je pensais que nous en avions terminé avec ça.

Bref, je m’appelle James Hawkins. Je suis militaire, soldat vétéran du Vietnam. Il y a un peu plus d’un an, le 14 mai 1970, lors d’un assaut durant la bataille de Svay Rieng, j’ai reçu une balle dans le crâne. J’ai passé un mois dans le coma. Durant cette période, il s’est passé quelque chose. J’ai réveillé quelque chose en moi. Une aptitude. À mon réveil dans un hôpital de Saigon, j’avais l’impression, chaque nuit, de visiter les rêves des autres blessés. J’ai cru d’abord devenir fou, puis certains signes m’ont prouvé qu’il se passait réellement quelque chose d’étrange. J’ai eu peur, été terrorisé par ce qu’il m’arrivait. Rapatrié aux Etats-Unis dans ma ville natale de Cedar City, j’ai tout fait pour effacer ça, je me dopais aux médicaments, bossais comme un forcené. Tout pour ne pas avoir à dormir, ni rêver. Je ne supportais plus de me retrouver projeté dans les songes de parfaits inconnus, à visiter leurs plus terribles cauchemars, leurs plus dérangeants fantasmes… Puis, un matin, on est venu frapper à ma porte. C’était mon ancien frère d’armes, Nate Irving, qui m’invitait à l’accompagner en Alaska pour rejoindre le projet top secret Les Limbes. Et me voilà, ici. En votre compagnie… Je suis arrivé, il y a plus d’un mois maintenant. Ça passe si vite.

Quels sont vos traits de caractère prépondérants ?

Mes traits de caractère… Je ne sais pas. Je suis un type normal, un américain comme un autre. Comme il en existe certainement des millions. Pas plus futé, pas plus brillant qu’un autre. Alors, ce que j’ai vu, vécu au Vietnam, évidemment, m’a marqué, m’a changé. L’horreur des affrontements, le sang, cette folie, tous ces morts… Mais bon, là encore je ne suis pas le seul ancien-combattant à en avoir un peu bavé. Non, ce qui me détermine, je le sens, c’est mon pouvoir, cette aptitude. Ce que je réussis à faire dans les rêves des autres, dans les Limbes. Avec le Professeur Kleiner, son équipe de scientifiques et les autres Eveillés disposant des mêmes aptitudes que moi, nous expérimentons sans cesse et allons toujours un peu plus loin. Je viens de découvrir, ainsi, que non seulement je peux visiter les rêves des autres, mais aussi en prendre le contrôle et les modifier. Et j’ai l’impression que ce n’est que le début, qu’il y a encore tant de choses à défricher. Comme si j’étais un enfant qui apprenait chaque jour à un peu mieux marcher. C’est un autre monde qui nous attend là-bas, dans Les Limbes, une terre vierge à explorer. J’ai l’impression d’être un pionnier… un élu, peut-être en quelque sorte. J’ai beaucoup de chance. Quand je croise le regard des autres, les scientifiques, les membres de la mission, quand j’entends la manière dont le Professeur parle de moi, de mes pouvoirs, je me sens si fier. Grandi. Puissant… J’ai l’impression que rien ni personne ne pourrait m’arrêter. Ici, dans la vraie vie, je suis un homme banal. Là-bas, dans les Limbes, je peux être qui je veux.

Vous êtes restés combien de temps dans la tête de votre créateur/Comment en êtes-vous arrivés là

Les questions de votre test sont un peu bizarres. S’agit-il d’une expérimentation en lien avec les Limbes ? Je vais jouer le jeu, quoi qu’il en soit. Depuis combien de temps suis-je dans la tête de mon créateur ? Je ne sais pas. C’est étrange, j’ai l’impression que c’est quelqu’un d’autre qui, soudain, me dicte mes réponses. Je dirais 10 ans. Oui, c’est cela. Ça fait plus de dix ans que Les Limbes est en gestation dans l’esprit d’Olivier Bal. Un projet au long cours, un univers qu’il a dû laisser mûrir, se développer et dont la construction a demandé pas mal de recherches, de documentation en amont.

L’enregistrement marque une pause.

On entend un bruit de chaise et une personne qui frappe à une porte.

Professeur, Professeur, qu’est ce qui se passe ici ? Qui est en train de prendre mon contrôle ? C’est Caleb ? Arrêtez tout de suite ! Je n’aime pas du tout ça.

On se pose toujours la question : c’est lui qui raconte ou c’est vous qui dictez ?

Bon, il faut que j’aille au bout pour que vous me laissiez sortir, c’est ça ? Très bien. Je dirais que c’est un peu des deux. Mon… mon narrateur a le plus souvent le contrôle. Il sait exactement où il veut m’emmener. Mais parfois, de manière surprenante, il aime aussi se laisser guider, se laisser porter par les mots, les dialogues, les situations. De même, si Olivier Bal construit ses livres avec une structure très établie, il aime se ménager des plages de liberté, d’improvisation. Car il a réalisé, avec le temps, que ce sont parfois les chapitres qui naissent au dernier moment qui sont les meilleurs.

Quels rapports vous entretenez avec lui ?

De qui parlez-vous ? De cet Olivier Bal ? Hé bien, c’est la première fois que j’en entends parler, moi ! Ça y est, ça recommence encore… Il se met à parler à travers moi. Donc, nos rapports… je vais arrêter de parler de moi à la troisième personne… Ce qui est intéressant justement, c’est qu’à ce jour, tous mes romans sont écrits à la première personne, un peu à la façon d’un journal intime. Du coup, je me plonge, corps et âme dans la peau de mes personnages. C’est quelque chose que je revendique aussi pour l’immersion du lecteur. Ainsi, durant la lecture du roman, le lecteur découvre le monde des Limbes avec James. Il est en première ligne, il n’y a pas de filtre, pas l’entremise d’un narrateur qui, par ses mots, crée du recul. Le lecteur a exactement le même niveau d’information que mon protagoniste. C’est pour ça qu’il était important que James soit un personnage, au départ, jeune, candide, un peu naïf aussi, car il reçoit toutes les informations du livre de manière plus brutale, plus forte encore, sans trop de jugement, ni analyse…

Ma tête, merde, qu’est-ce que vous me faites ? Ça me fait un mal de chien. Je veux arrêter ce test maintenant, Professeur !

Entre deux aventures, quand la vie personnelle reprend ses droits, comment vous occupez-vous ?

Vous me posez cette question, à moi, à James, ou à l’autre cet Olivier Bal, là ? Je suis complètement perdu… Je vais quand même tenter de répondre. Hé bien, de mon côté, vous le savez, il n’y pas grand-chose à faire ici, au fin fond de l’Alaska dans la station K27. D’autant plus que nous n’avons plus l’autorisation de sortir dehors depuis que je suis arrivé. Du coup, on vit un peu en vase clos, un peu comme dans un sous-marin, je pense. Le plus clair de mon temps est consacré à nos expérimentations autour des Limbes et la manipulation des rêves. Quand j’ai du temps libre, je fais quelques parties de cartes avec les autres scientifiques, je vais papoter avec Gregson, le responsable de l’infirmerie. On discute, en fumant des cigarettes dans le couloir. On passe le temps. Parfois, j’écoute quelques vinyles dans la salle de repos. On vient de recevoir le dernier Rolling Stones, Sticky Fingers. Je pourrais écouter en boucle Can’t you hear me knocking. Mais le temps me semble parfois long. Et surtout, la lumière naturelle me manque. La sensation du soleil sur ma peau. Respirer du vrai air, pas ce truc recyclé, lourd, comme chargé de poussière qu’on a ici. La neige, la pluie aussi me manquent…Ici, il n’y a que ces murs de béton, ces portes en métal… ce n’est pas toujours évident de tenir le coup.

Niveau communication, vous échangez ensemble, vous discutez ?

De quoi ? Ça recommence ? Avec qui vous voulez que j’échange ? À quoi ça rime ces conneries ? Oui, il y a de l’échange. Quand j’écris, je me pose sans cesse la question de la sincérité. J’essaie vraiment de rendre la moindre des situations, le moindre dialogue le plus crédible possible. James aurait-il réellement réagi comme ça ? Aurait-il dit ça à ce moment ? Puis une fois un livre terminé, il m’arrive de repenser à mes personnages avec une pointe de nostalgie. Je repasse le film de ce que nous avons vécu ensemble, de leur histoire, de notre histoire… ce qu’il me reste d’eux.

En guise de conclusion, un petit mot pour ceux qui vont vous découvrir ?

Les Limbes est mon premier roman. Vous l’avez compris, ici, vous allez découvrir ce qui se cache au plus profond de vos rêves, tandis que mes personnages, James et les autres Éveillés, explorent toujours un peu plus l’univers des Limbes. Ce livre, je l’ai pensé, conçu pour vous entraîner dans une spirale implacable. Avec des cassures de rythme, des ruptures incessantes. Dans l’idéal, j’aimerais qu’avec Les Limbes, vous ne sachiez jamais vraiment ce qui vous attend à la page, à la ligne suivante. Qu’il y ait quasiment un rapport addictif à la lecture. Que vous soyez emportés, intrigués, et aussi un peu terrifiés par ce que vous découvrirez au fil de l’aventure… Bref, Les Limbes vous attendent. Mais oserez-vous y pénétrer ?

Stop… Ma tête, je vous en prie… Non, arrêtez, je ne m’appelle pas Olivier Bal. Je m’appelle James Hawkins. Je suis James Hawkins…

Ça y est, c’est terminé ? Dites-moi que c’est terminé… je n’en peux plus.

Fin de l’enregistrement.

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