Et si, pour une fois, on leur donnait la parole ? Saison 2 Episode 27

Et si, pour une fois, on leur donnait la parole ?

Saison 2 Episode 27

« Des interviews. Mais pas les habituelles rengaines égocentrées des auteurs. Parce que, finalement, dans un roman, qui va au charbon ? Le personnage ! »

Et si on leur donnait la parole ? S02E27

par Nick Gardel

Bonjour, je dois avouer que je ne sais pas vraiment comment débuter cette entrevue… Peut-être que pour que nos lecteurs nous comprennent, vous devez vous présenter…

C’est très compliqué pour moi de répondre à vos questions.

Je ne sais pas parler. Juste vagir. Je n’ai que quelques onomatopées à ma disposition : Aarghh ! Brrr, et OUINN quand j’ai faim. Ou soif. Ou que ma couche est pleine de pisse ou de… enfin… vous voyez de quoi il en retourne. J’ai toutes les raisons de me plaindre. J’ai le ventre creux et le cul sale. Je pleure beaucoup. Tout le temps même. Ma salope de mère (ainsi soit-elle) m’a larguée dans un buffet posé sur le trottoir à destination des « encombrants ». Il paraît que c’est un service de la mairie de Paris que les gens appellent quand ils veulent se débarrasser des trucs qui ne servent plus à rien : les téloches cassées, les frigos pourris, les canapés défoncés, les vioques séniles, les fous, les malades en fin de vie, les trisomiques et les bébés non désirés. Comme moi, quoi. Enfin, les bébés en principe, on les confie aux services d’aide à l’enfance qui les dispatchent dans des orphelinats ou des familles d’accueil. Dispatcher, c’est le mot qui me vient, même s’il ne sonne pas bien à l’oreille. Mais c’est vrai que nous, les mômes abandonnés, on nous balance comme des betteraves ou des concombres sur les étals des marchands de quatre saisons, un coup ici, un coup là, au petit bonheur la chance. En parlant de petit bonheur la chance, j’ai quand même eu un sacré coup de pot dans mon malheur. Deux même. Tout d’abord, la garce qui m’a mise au monde ne m’a pas « oubliée » dans un congélateur. Elle aurait pu, les mères qui zigouillent leur(s) lardon(s) le font assez souvent. On n’a pas à se préoccuper du cadavre qui reste intact dans la glace au lieu de se décomposer dans un jardin, au risque d’être déterré et bouffé par des molosses enragés. Bref le congélo, c’est assez tendance chez les femmes qui trucident leur mouflet. Mais bon, la mienne a jugé qu’un buffet serait plus approprié à la grande scène de l’abandon. En réalité, ce n’est pas elle qui a fait ce choix, c’est l’auteur. Le truc du congélo ne lui disait rien qui vaille, à cette femme, elle est sentimentale. Surtout elle craignait qu’aucun éditeur ne publie son bouquin s’il s’ouvrait sur la découverte d’un corps congelé de nourrisson. Elle n’avait pas tort ma créatrice, hein ! Elle est plutôt sympa, d’ailleurs. Elle m’a donné une seconde chance en inventant le personnage d’Antoine, un mec improbable qui pique des cierges et des objets religieux dans les églises, zozote, sort de chez lui à l’aube en caleçon à fleurs, charentaises et les yeux maquillés au khôl pour faire les poubelles. C’est lui qui me découvre et me baptise Cerise parce qu’il trouve que j’ai une drôle de cerise. Il me ramène chez lui, me lave, me lange, me file des bibs (enfin !) s’occupe de moi avec l’aide des putes, des maquerelles, des intellos déjantés, des veufs alcoolos, des mythomanes fracassés, des transsexuels en fin de parcours qui habitent son immeuble et sa rue. Ah oui, j’ai oublié de vous dire, ça se passe à Pigalle, ce roman. Enfin le vrai Pigalle, pas cette réserve de bobos hyper friqués et de touristes accros aux locations par AirBNB qui ont défiguré le quartier depuis quelques années. D’ailleurs Pigalle, maintenant ça s’appelle South Pi, dans les guides de tourisme, vous voyez le genre, une horreur. Ma créatrice déteste ça, mais ceci est une autre histoire. Pour en revenir à la mienne, j’ai oublié de vous dire que ma mère est une ado qu’un faux infirme en chaise roulante a poussée au tapin ( il ne l’a pas beaucoup poussée, elle avait des dispositions, parait-il). Alors c’est normal que j’ai atterri à Pigalle. Et que j’en connaisse un rayon, question sexualité puisque elle faisait encore quinze passes par jour enceinte de moi jusqu’au trognon.

Bon, finalement pour un nourrisson, je suis assez loquace, mais là, je me la boucle. A vous de me découvrir en lisant « les Encombrants ».

Oui… euh… J’aurais même été jusqu’à « Bavard ». Faivre d’Arcier a dû vous garder longtemps en réserve pour avoir autant de mots à mettre dans cette bouche qui ne peut pas parler…

Je suis restée très longtemps dans la tête de l’auteur. Enfin, pas vraiment moi, la môme Cerise, mais plutôt l’idée d’écrire un livre sur Pigalle où elle s’est installée il y a bientôt trente ans. Elle était au balcon pour voir tout ce qui se passe dans sa rue où il y avait des bars d’hôtesses tous les vingt mètres. Elle habite d’ailleurs au-dessus d’un cloaque qui s’appelle le Dirty Dick, tout un programme, n’est-ce pas ? Maintenant c’est devenu un lieu branché où les hipsters et les gosses des bourgeois de l’Ouest parisien croient venir s’encanailler le week end en sirotant des cocktails, mais pendant des décennies, le Dirty Dick a accueilli des représentants de commerce bourrés de cholestérol et malheureux en ménage que des créatures de rêve aux doigts de fée délestaient de leurs bourses dans l’arrière-salle du bar après les avoir gavé de champagne frelaté (et très cher). Ma créatrice trouvait ce voisinage marrant. Elle aimait bien la tenancière du bistro qui avait un chien nommé Dollar, avec lequel Nouk, son terrier du Tibet, avait sympathisé. L’écrivain et la maquerelle parlaient croquettes et toilettage sur le bord du trottoir en regardant leurs « enfants » folâtrer, ça valait le détour. Nouk était dingue de la chienne de Josiane Balasko, l’autre voisine de ma maman de plume (tiens, ça lui va bien ce sobriquet !) Entre parenthèses, cette chienne était une horreur : acariâtre, borgne, ménopausée, moche et courte sur pattes, elle ressemblait à un tabouret de vacher, mais que voulez-vous, Nouk le chien de ma maman de plume, la voyait avec les yeux de l’amour. C’est ainsi…

Bref, ma créatrice avait des wagons d’anecdotes à raconter sur Pigalle. Le projet est resté longtemps dans un coin de sa tête, elle avait d’autres casseroles sur le gaz, des livres de vampires en particulier, les vampires, c’est sa marotte à cette femme, elle les adore. Et puis elle n’arrivait pas à trouver le fil directeur de son bouquin. Jusqu’au jour où elle visualisé Antoine qui trottinait en chaussons sur le trottoir de la rue Frochot, son petit bedon musclé à la corona ficelé dans un marcel. Là, elle s’est dit qu’il allait ouvrir un meuble posé à l’angle Frochot /Victor Massé et me découvrir. Et c’est parti comme ça, elle tenait son sujet !

 

« J’ai toutes les raisons de me plaindre. J’ai le ventre creux et le cul sale. »

 

Elle tenait son sujet… Donc c’est elle qui dicte vos moindre faits et gestes. Je me trompe ?

Alors là franchement, c’est l’histoire de l’œuf et de la poule, cette question. Ma maman de plume a imaginé ce petit bébé aux cheveux noirs, aux yeux en boutons de bottine et à la petite bouche cerise qui sanglotait en réclamant son bib et sa mère. Parce que je la voulais ma mère, moi. L’auteur s’est dit qu’elle devait s’intéresser à cette mère dénaturée et à son histoire. Elle l’a baptisée Eglantine. Eglantine, Cerise, Violette, il est très printanier ce livre. Violette, c’est Violette Impériale, la maquerelle. Tout est violet chez elle : ses cheveux, ses ongles, ses falbalas, ses mules à talons, ses sous-vêtements. La foufoune, on ne sait pas, mais il y a des chances qu’elle le soit aussi. Bref, on a avancé, comme ça, ma maman de plume et moi, en écrivant ce qui nous venait à l’esprit.

Et ça donne quels genres de rapport, cette sorte de maternité complice ?

Je vous l’ai dit, plutôt bons. Mon seul regret c’est qu’elle n’ait pour l’instant pas le projet d’écrire un deuxième livre avec moi. Une série, elle en a fait une avec des ados télépathes qui font les cents coups et des voyages dans le temps. Ils se baladent dans une base sous-marine allemande durant l’Occupation et dans le Bordeaux anglais de la guerre de Cent Ans. Mais moi apparemment, je suis un « one shot ». Dommage. Vous pourriez peut-être lui souffler l’idée de me remettre en selle, non ? Mais il faudrait que je grandisse, dans ce cas. Elle n’est pas très branchée bébé, ma créatrice. Elle préfère les chiens. Après Nouk dont la mort l’a rendue folle de chagrin, elle en a eu deux : Chandler, son schnauzer de onze ans qu’elle appelle « mon bébé » et avec qui elle a de grandes discussions (oui, je sais, elle est gâteuse) et Diva une femelle Yorkshire de dix ans qui porte bien son nom car elle hulule, glapit, rouspète et engueule les écureuils qu’elle voit grimper aux arbres. D’après ma créatrice, c’est super d’avoir un chien, on se soigne tout seul en discutant le bout de gras avec lui, on fait les questions et les réponses, ça évite de dépenser du fric chez les psychiatres. Des chiens, elle en fourre dans presque tous ses livres, surtout dans ses ouvrages jeunesse. Elle a même inventé un chien de guerre géant de cent quarante kilos qui survit depuis le quatorzième siècle et qui répond au nom de Blacky. Il est anglais. C’est un vampire. Il en impose, ce mastiff. A côté de lui, moi, la petite Cerise, je ne suis qu’une mauviette, snif.

Et le quotidien vous laisse quoi comme vie ?

Je gazouille, je pédale dans mon berceau, je fais des risettes à tous ceux qui s’intéressent à moi. Et ils sont nombreux dans cet immeuble de doux dingues à se pencher sur mon sort, heureusement. Ma maman de plumes, elle, elle se balade avec Chandler et Diva quand elle n’écrit pas. Et elle prend soin de son mari, un homme adorable qu’elle aime comme au premier jour et qui s’appelle Christian.

Vous n’échangez pas ensemble ?

Pas tellement. Si j’aboyais, ou si je jappais ce serait plus facile, elle est bilingue clébard/humain, ma maman de plume.

Alors, pour une fois, je vous laisse la parole plein et entière. Vous pouvez conclure.

Je suis un très beau bébé et il m’arrive des aventures incroyables dans « les Encombrants« . Elle est complètement allumée ma maman de plume, vous ne vous ennuierez pas en lisant ce bouquin.

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