L’eau rouge, Jurica Pavicic

Le livre : L’eau rouge de Jurica Pavicic. Traduit du croate par Olivier Lannuzel. Paru le 11 mars 2021chez Agullo éditions. 22€. (358 p.) ; 21 x 15 cm

4e de couv : 

Dans un bourg de la côte dalmate, en Croatie, Silva, 17 ans, disparaît lors de la fête des pêcheurs. C’est un samedi de septembre 1989, dans la Yougoslavie agonisante. L’enquête menée par l’inspecteur Gorki Sain fait émerger un portrait de Silva plus complexe que ne le croyait sa famille : la lycéenne scolarisée à Split menait-elle une double vie ? Mais l’Histoire est en marche, le régime de Tito s’effondre, et au milieu du chaos, l’affaire est classée. Seule la famille de Silva poursuit obstinément les recherches…

À travers ce drame intime, L’Eau rouge déploie dans une grande fresque les bouleversements de la société croate, de la chute du communisme à l’explosion du tourisme, en passant par la guerre civile… Ou comment les traumatismes de l’Histoire forgent les destins individuels.

L’auteur : Jurica Pavicic est un écrivain, scénariste et journaliste croate, né à Split en 1965. Son roman Les moutons de gypse a été adapté au cinéma par Vinko Bresan, sous le titre Witnesses (Svjedoci), film qui a remporté le prix oecuménique du jury du Festival de Berlin en 2003. Le prix du meilleur scénario a été décerné à Jurica Pavicic pour ce même film au Festival de Pula la même année.

 

Extrait : 
Il pose à nouveau son regard sur la feuille de papier. A l’époque, quand tout ça était encore frais, il y avait ces affichettes partout dans Misto et dans les environs, sur les auvents, sur les poteaux, dans les vitrines. Quelqu’un en avait collé une sur la devanture de leur boulangerie. Son père n’avait pas osé la retirer, alors qu’il savait qu’elle n’avait pas été placée là comme un appel à l’aide mais comme une menace.
Toutes les affichettes étaient pareilles à celle qu’il voit maintenant sur le mur près des toilettes : le nom de Silva, la description de ses vêtements, le numéro de téléphone, un numéro de téléphone avec un vieil indicatif yougoslave. Et son visage, son nez froncé, la mèche qui barre son front. Cela fait longtemps qu’ailleurs les autres tracts ont disparu : ils se sont décollés, ont été arrachés, emportés par la pluie. Il n’est resté que celui-là, loin de Misto, dans un autre pays, dans un village de l’autre côté du front, à côté d’une porte de toilettes. Six années depuis lors ont passé, et deux guerres. Par deux fois le front a traversé cette vallée, par deux fois une armée en a remplacé une autre, qui a conquis ce territoire, l’a détruit, anéanti. Et pendant que les fourmis jaunes incendiaient les maisons des fourmis noires, puis les noires celles des jaunes, la feuille de papier avec le visage de Silva est restée là, intacte, à côté des toilettes. Pendant que les uns et les autres périssaient ou vieillissaient, seule Silva est restée jeune, figée dans son carré blanc.
  –  Et qu’est-ce qu’il s’est passé ? demande Sanja soudain intéressée. Vous l’avez retrouvée, cette fille, après ?

Le post-it de Ge

L’eau rouge, Jurica Pavicic

Voilà un roman policier comme j’aimerais en découvrir plus souvent. Un roman noir aussi. Un roman noir surtout.

Comme le dit si bien dit la 4e de couv, « L’Eau rouge » déploie dans une grande fresque les bouleversements de la société croate : chute du communisme, guerre civile, effondrement de l’économie et de l’industrie, investissements étrangers et corruption… Ou comment les traumatismes de l’Histoire forgent les destins individuels.

Nous sommes en Croatie, en 1989. Dans un bourg de la côte dalmate, Silva, 17 ans, disparaît durant la fête des pêcheurs. L’enquête menée par Gorki Sain fait émerger un portrait complexe de cette jeune fille qui prenait et revendait de la drogue. Quand le régime de Tito s’effondre, l’inspecteur est poussé à la démission et l’affaire classée. Seule la famille de Silva poursuit obstinément les recherches.

Et à travers les proches de la Lycéenne disparus mais aussi les autres protagonistes que l’on va rencontrer tout au long de cette enquête on va découvrir le visage de ce pays meurtri par des querelles quasi fratricide, entre des voisins qui cohabitaient encore quelques temps en bonne intelligence. Pour les plus âgés comme moi, on se souvient qu’Après la mort de Tito en 1980, les relations entre les six républiques de la RSFY se détériorèrent. La Slovénie et la Croatie souhaitaient une plus grande autonomie au sein de la confédération yougoslave, tandis que la Serbie cherchait à renforcer l’autorité fédérale. Comme il devint clair qu’il n’y avait pas de solution acceptable par toutes les parties, la Slovénie et la Croatie se dirigèrent vers la sécession.  On se souvient aussi de la guerre qui a suivi au début des année 90, des exactions que celle-ci a engendrées. Et forcément des fractures que celles-ci ont laissé. Un peuple déchiré !

« L’Eau rouge » est vraiment le roman de ce cataclysme mais le roman de Jurica Pavicic fait aussi une part belle à l’intime. C’est une véritable tragédie familiale. Un frère privé de sa sœur jumelle. Mais c’est aussi des destins croisés qui rôdent autour de la disparition de Silva. C’est des jeunes gens en guerre puis ces même jeunes gens qui doivent se reconstruire, qui quittent un monde  communiste passé pour rentrer dans un futur capitaliste.  C’est la vie de ces hommes et ces femmes, ces hommes surtout d’ailleurs quand j’y pense.
Ce qui certain, c’est que ce bouquin est une vraie belles réussite. Gageant qu’il me reste en mémoire un bout de temps.

Autres Extraits :
Mate et Silva sont des jumeaux hétérozygotes. Quand on les observe, on voit leur ressemblance, les mêmes sourcils, le même profil du nez. Ils possèdent le même front délicat, la même ride le long de la bouche, marque d’opiniâtreté. Mais, si Mate et Silva se ressemblent physiquement, ce n’est pas la même chose pour ce qui est de leur caractère. Mate est un garçon calme et responsable, consciencieux, prudent, sur lequel on peut compter, et Vesna sait qu’il sera un soutien pour eux quand ils seront vieux. Silva, elle, est différente. Silva, c’est une petite haïdouk, a dit d’elle un jour tata Zlata. Silva ira loin, a dit de son côté Jakov. Elle ira loin car elle se débrouille toujours pour obtenir ce qu’elle veut.
En septembre, à la rentrée scolaire, Silva est repartie à Split et Brane, semble-t-il, s’est apaisé. Et sa patience a fini par payer. Au mois de mai de l’année suivante, Brane et Silva sont enfin sortis ensemble et cette liaison a tenu le coup malgré les absences de Silva et ses études en ville. Du lundi au vendredi, Silva réside à Split et mène sa vie. Elle rentre le week-end à Misto, Brane et elle se retrouvent alors. Brane vient la chercher à la maison et ils vont dans l’un des deux cafés et demi qui constituent en tout et pour tout les lieux de sortie dans le bourg. Brane aimerait manifestement passer avec Silva le plus de temps possible et, tant qu’à faire, seuls. Mais Silva a d’autres plans. Silva l’entraîne là où il y a du monde, où il y a à boire, où l’on s’amuse, là où Mate sort lui aussi. Mate a eu plusieurs fois l’impression que Brane aurait aimé que les choses se passent différemment. Mais il a vite fait de comprendre que, dans leur couple, c’est Silva qui dirige et que Brane suit sans oser la moindre critique.

24 réflexions sur “L’eau rouge, Jurica Pavicic

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