Quitter les Monts d’Automne, Emilie Querbalec

  Le livre : Quitter les Monts d’Automne de Emilie Querbalec.. Paru le 2 septembre 2020 chez les Editions Albin Michel, Imaginaire. 21€90. (441 p.) ; 21 x 14 cm

4e de couv :

Quitter les monts d’automne

Recueillie par sa grand-mère après la mort de ses parents, la jeune Kaori vit dans les monts d’Automne où elle se destine à être conteuse. Sur Tasai, comme partout dans les mondes du Flux, l’écriture est interdite. Seule la tradition du « Dit » fait vivre la mémoire de l’humanité. Mais le Dit se refuse à Kaori et la jeune fille se voit dirigée vers une carrière de danseuse.

Lorsque sa grand-mère meurt, Kaori hérite d’un rouleau de calligraphie, objet tabou par excellence, dont la seule détention pourrait lui valoir une condamnation à mort. Pour percer les secrets de cet objet, mais aussi le mystère qui entoure la disparition de ses parents, elle devra quitter les monts d’Automne et rejoindre la capitale.

Sa quête de vérité ta mènera encore plus loin, très loin de chez elle.

Débutant comme un roman initiatique d’inspiration japonaise, Quitter les monts d’Automne s’impose vite comme un récit d’aventure qui frappe d’abord par sa beauté et sa poésie, puis par sa cruauté et son érotisme subtil.

l’auteur : Émilie Querbalec est née au Japon. Si le japonais est sa langue maternelle, c’est en français qu’elle se sent le plus à l’aise pour écrire. Après un passage convenu en prépa littéraire, elle étudie la photographie, les langues orientales et l’histoire de l’art, avant d’exercer divers métiers qui n’ont pour seule vocation que de nourrir sa passion pour le voyage. Aujourd’hui, elle partage son temps entre son métier de nutritionniste et l’écriture
Quitter les monts d’Automne est son deuxième roman. Le précédent. Les Oubliés d’Ushtâr (Nats éditions), a été finaliste du prix Rosny aîné.
Extrait :
Lors d’une rencontre entre la grand-mère de Kaori, Lasana, et un mystérieux visiteur, la jeune fille les écoute derrière les murs fins de la maison, et nous apprenons qu’une menace plane sur sa famille.
« – Pourquoi tant de précautions ? Tu ne pouvais pas prendre un glisseur comme tout le monde, au lieu d’user tes pieds dans la poussière ?
A cette époque de l’année nous avions coutume de séjourner au village de Yoshiné dans la Vallée des Trois Fleurs. Les pluies de la mousson rendaient difficiles les déplacements en montagne, où les sentiers les mieux aménagés se résumaient bien souvent à des tronçons de route dallés de pierres mal rabotées. Il aurait été bien plus simple pour notre visiteur d’emprunter un glisseur auprès des moines Talanké – c’était typiquement le privilège que les personnages de haut rang pouvaient s’octroyer.
Maître Toishi pouffa come un jeune homme, puis je le vis qui piochait un morceau dans un bol. Mon ventre se mit à gargouiller, et un bref instant, je craignis que l’on ne s’aperçoive de ma présence.
– Varané est morte, déclara-t-il à brûle-pourpoint.
– Cette simulatrice ? s’étonna Lasana. J’ai toujours su qu’elle finirait mal.
– Ne sois pas si dure. Varané avait tendance à l’exagération, mais ses transes étaient authentiques.
– Si tu le dis.
– Pour en revenir à ta première question, j’ai préféré voyager à pied, oui. Le Flux ne doit pas se douter que je suis ici avec toi.
– Ah ! s’exclama ma grand-mère.
Elle demeura silencieuse un bon moment. Comme s’ils n’avaient attendu que cet entracte pour s’exprimer, les insectes reprirent leu chant de plus belle.
– Alors, de quoi est-elle morte ? reprit Lasana.
– Son décès n’a rien de naturel.
– Varané, assassinée ? Cette outre pleine de vent ?
– Ce n’est pas un cas isolé. Plusieurs victimes ont été recensées, ici, sur Tasai, mais aussi ailleurs, sur d’autres mondes. Toutes disparues dans des circonstances similaires.
– Tu penses que nos lignées sont menacées.
– J’en suis persuadé.
– Le Flux n’autoriserait pas cela.
– Le Flux se dérègle, Lasana. Tous les témoignages concordent.
– Tu divagues, mon ami.
Maître Toishi trempa ses lèvres dans la coupelle qui attendait devant lui, avant de reprendre :
– Peux-tu affirmer que tu n’as observé aucun comportement, aucune attitude inhabituels chez les moies ces dernières années ?
La méfiance de ma grand-mère à l’égard des Talanké était telle qu’elle évitait toutes les occasions possibles de les croiser. Ce n’était guère difficile dans ces montagnes reculées, où les paysans vénéraient secrètement les dieux anciens, à égalité avec le Flux. Il en allait autrement en ville et particulièrement à Pavané. » (Quitter les Monts d’Automne – pp 22-23)

 

La chronique fantôme de Marianne

Emilie Querbalec.  Quitter les Monts d’Automne.

Editions Albin Michel, Imaginaire.

Un petit bijou romanesque qui possède sa propre atmosphère, bien indentifiable, s’inspirant de la culture traditionnelle japonaise tout en inventant un monde installé dans les étoiles, un érotisme queer distancié mais très présent : entre le Dit du  Gengi, Battlestar Galactica, le Seigneur des anneaux et les romans d’Ursula Le Guin (Le Dit d’Aka , La trilogie Les Chroniques des Rivages de l’Ouest)  

Dans un seul volume – et rien n’indique qu’il ferait partie d’une série-  ce roman  à l’écriture classique et limpide, mobilise un  grand nombre de  thèmes de la SF  avec une pincée de fantasy :   choc de mondes à des niveaux de technologie différentes,  voyages dans l’espace, sauts spatio-temporels, programmation génétique des individus, transmission des connaissances et des informations au gré des lignées familiales,  découverte et développement d’un don ou d’un talent, transmission et apprentissage,  lutte de pouvoir entre les  machines et les individus,  place complexe des croyances, liberté  ou soumission et perte de soi, mécanismes de la mémoire et de l’oubli au fil du temps,  au gré des pratiques et des besoins des civilisations, place de l’écriture et de la lecture, quid d’une société sans écrits, diversité des formes de vies entre les  robots, les individus « augmentés » par des implants, les humains sans implants, les  sylphes  (cousins des elfes), recherche du monde originel après des millénaires de diaspora dans l’univers…

Le titre « quitter les Monts d’Automne » résume l’enjeu du livre, à la fois roman initiatique et roman d’aventures, récit de voyage et d’explorationKaori, l’héroïne adolescente quitte sa famille, son monde pour partir à la découverte de l’univers et d’elle-même, poussée par le besoin de découvrir la vérité sur la disparition de ses parents, emportant avec elle un objet mystérieux hérité de sa grand-mère, un rouleau de calligraphie, dont la possession est un crime muni de mort sur sa planète. Roman d’aventures où l’on voyage à bord de bateaux sur l’océan, d’ascenseurs stratosphériques, sur des vaisseaux spatiaux, on apprend à traverser un trou de ver. Chaque étape s’avère une épreuve nouvelle pour l’héroïne et ses compagnons de route, qui lui permet d’élargir son univers.  Elle quitte un monde rural traditionnel arriéré et primitif selon les critères d’autres civilisations pour découvrir la grande ville et ses dangers, puis la vie cosmopolite des ports et des vaisseaux spatiaux, l’art de voyager dans l’espace, en dépit des contraintes temporelles (nécessité de la stase, pour parcourir des années-lumière, de garder le même âge alors que le monde a vécu plusieurs décennies, voire des siècles entre le début et la fin du voyage). Parallèlement, amitiés, conversations, traumatismes, chagrins, émotions et éveil sensuel, conscience de soi, maîtrise de son corps, de sa mémoire, métamorphoses, jalonnent le parcours de la jeune fille qui finira par aller au bout de sa quête, grâce l’appui d’improbables alliés.

Avec une élégance certaine, Emilie Querbalec a construit une histoire parfaitement maîtrisée et cohérente dont la petite musique vous poursuit de façon entêtante.

Autre extrait : 
Kaori, avec l’aide de deux aventuriers Dame Aymelin et Ekisei, est entrée dans le système qui permet d’accéder à la station spatiale qui flotte au-dessus de sa planète.
« Je regardai autour de moi avec circonspection. Les voyageurs discutaient à voix basse en tera, ou dans des idiomes inconnus. Raclements, sifflements ou claquements de langue se mêlaient aux rondeurs et aux roulements de voyelles que j’aurais été bien en peine de reproduire. Physiquement, certains présentaient des traits caractéristiques de notre peuple : cheveux de jais, paupières en amande et ossature fine du visage. Les autres venaient incontestablement d’ailleurs. Parmi eux, je remarquai un homme – à moins que ce ne fût une femme ? – à la peau mauve pailletée de minuscules incrustations argentées, d’une beauté saisissante.
– Un Sylphe, me glissa Aymelin, que mon étonnement semblait réjouir.
Je l’interrogeai d’un haussement de sourcils.
– Ils forment une race à part, expliqua-t-elle. Leur corps a été transformé afin de les rendre quasiment immortels. Celui-ci s’est fait couper les ailes, c’est un excentrique.
D’autres voyageurs nous rejoignirent, interrompant notre échange. Aymelin se tut, regardant droit devant elle.
Je songeai à Ekisei, censé se présenter aux contrôles « plus tard ». Je n’osai imaginer ce qui se passerait si la présence de mon rouleau venait à être détectée dans l’un de ces caissons. A moins qu’il ne le transporte directement su lui ? A leur nez et à leur barbe ? Je me demandai comment, par le Flux, il allait se débrouiller.
Dans la cabine, personne ne semblait faire attention à nous. Des appels retentirent dans le hall, et le sas par lequel nous étions entrées se referma. L’éclairage prit une tonalité plus feutrée, plus chaude. Les sièges aussi devinrent tièdes. Une vibration s’éleva du sol et gagna les parois. Pendant encore un moment, il y eut une fluctuation de lumière, et je sentis mon corps se soulever comme si la cabine se remplissait peu à peu d’eau. Mes cheveux, détachés, se mirent à flotter autour de moi. »
(Quitter les Monts d’automne, pp 202-203)

 

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