Usual victims, Gilles Vincent

Le livre : Usual Victims de Gilles Vincent. Paru le 10 février 2022 Au diable Vauvert. 19€. (416 p.) ; 20 x 13 cm

4e de couv :

À Tarbes, quatre femmes sont retrouvées mortes dans les locaux de Titania, géant du commerce en ligne. Loi des séries ? Pressions professionnelles ? Vies intimes livrées au chaos ?

Le capitaine Delbard, la lieutenante Rucher et Stéphane Brindille, jeune stagiaire, sont sur l’enquête. C’est un déchaînement qui les attend. Une tempête qui broie les vies et fait

sombrer les existences ; celles des hommes comme celles des bêtes…

 

Thriller noir, social, réaliste, Usual Victims est un page-turner cinématographique où le dark web se mêle à la manipulation.

 

L’auteur : Gilles VINCENT est né à Issy-les-Moulineaux le 11 septembre 1958. Un grand-père député du Front Populaire, grand résistant, déporté… Une grand-mère institutrice, hussarde de la République, bouffeuse de curés. Un père prof de Fac, une mère prof de Lettres, puis psychanalyste (personne n’est parfait). Et c’est du côté de Valenciennes qu’il passe sa jeunesse dans laquelle ne trouvent grâce à ses yeux que les livres, les histoires, les mondes imaginaires. À 14 ans, au Maroc, il découvre Frédéric Dard et dévore tout San Antonio jusqu’à en oublier la magie du désert. Sa décision est prise : plus tard lui aussi il racontera des histoires. À 20 ans, il abandonne ses études pour une carrière de commercial. Puis il rejoint le sud, Marseille tout d’abord puis les environs de Pau où il vit depuis quelques années, tout entier consacré à « l’aventure des mots » : ateliers, classes, conférences et romans. Il a publié 7 romans dont Djebel, un polar dont Isabelle Adjani a acheté les droits cinématographiques. Il a reçu le Prix Marseillais du Polar 2010 pour son roman Sad Sunday. Dans les auteurs qui l’ont marqué, on retrouve Duras, Besson, Van Cauwelaert, Jim Harrison, Jesse Kellerman et Frédéric Dard bien sûr ! Dans ses passions se mêlent le ciné, les bouffes entre copains, les courses autour du lac, la lecture bien sûr, les rêves, tous les rêves et Madrid où il se verrait bien vivre un jour…Gilles Vincent vit aujourd’hui dans le Béarn. Il est lauréat des prix Euro-polar et Cezam. Son roman Les Poupées de Nijar a reçu les prix Polar à Mauves-sur-Loire et La Boétie 2021.

 

 

Extraits :
« Dans mon cœur rien ne change
T’es toujours là, mon ange.
Sur les lèvres de Camille le refrain tourne en boucle.
Quand le ventilo achève d’effacer les derniers espaces de buée sur le pare-brise, elle peut distinguer, sur la route du plateau, incrustées dans le bitume encore gelé, comme des paillettes scintillantes, et lui reviennent les mots de ce chanteur dont elle a oublié le nom. D’abord la mélodie, avec ses airs de chagrin en embuscade, qu’elle se met à fredonner. Puis quand s’annonce la descente vers les faubourgs de Tarbes, les paroles lui reviennent par bribes et elle chante à tue-tête. Où tu es j’irai te chercher, où tu te caches laisse-moi deviner… »

 

« Je m’appelle Martin Delbard.
Je suis né à Dunkerque où j’ai grandi. Quand j’ai eu vingt-trois ans, j’ai quitté le Nord pour faire mes classes dans le 93. Élève officier dans la Police nationale à Aubervilliers.
Depuis, j’ai bourlingué un peu partout jusqu’à mon affectation, il y a cinq ans, au commissariat de Tarbes. J’ai le grade de capitaine et je dirige un petit groupe plutôt sympa. Un groupe, c’est beaucoup dire. Un binôme, en fait. »

 

Le regard acéré de Simone Gélin pour Collectif Polar

Usual victims

 

Le cadre : Tarbes, la ville et ses immeubles, ses bars, sa gare, ses centres commerciaux, la voie de chemin de fer, l’autoroute, sans oublier bien sûr la silhouette des Pyrénées en arrière-plan, comme un horizon indépassable.

Et Titania. Le géant du commerce en ligne, le monstre, symbole d’une société déshumanisée, le plus gros employeur de la ville, surgi de terre à coup de subventions pour offrir à des générations d’exclus du monde du travail, le Graal, le CDI inespéré, dans une région en panne d’activité économique.

Titania « l’enfer du décor » comme l’appellent les salariés, « le plus grand bazar du monde »

Gilles Vincent (GV)  nous livre une description précise de la structure, les 26 parkings, les hangars, les barrières de sécurité, les pontons de débarquement, le va-et-vient des poids lourds le long des quais de chargement, les vestiaires des employés, avec leurs armoires métalliques.

Le travail abrutissant des manutentionnaires, les cadences infernales, stockage, emballage, expédition, 4160 salariés, la pression sur les équipes, et le cloisonnement de la hiérarchie, par ces champions du Code du travail.

La nature – les champs environnants, les pâtures, l’herbe mouillée, les arbres – escorte les déplacements et accompagne le déroulement des événements.

Atmosphère habillée d’un temps hivernal, brouillard glacé, brume, balayée parfois par le vent du sud, venu d’Espagne. La pluie, et le mouvement incessant des balais d’essuie-glaces, en mode intermittent, parfois (comme les courts chapitres), ou accéléré, comme le stress qui grimpe, rythment le suspens.

Le livre s’ouvre en chantant avec Camille : dans mon cœur rien ne change, t’es toujours là mon ange, quelques notes de musique et les paroles de JL Aubert.

Attention, cette douceur n’a de rôle que de nous apprivoiser pour mieux nous enfoncer aussitôt après dans la noirceur.

Camille sera la première de la série.

Une contagion suicidaire semble avoir gagné Titania.

Mais qu’est-ce qui pousse ces femmes à se pendre ?

Trois policiers sont chargés d’enquêter.

Ils se présentent eux-mêmes au lecteur, dressant sans concessions leur autoportrait.

 Martin Delbart, capitaine de police, homosexuel, bien dans sa peau, heureux dans sa vie avec son compagnon, Florent ;

Clémentine Rucher, sa collègue, homosexuelle aussi, ce qui simplifie leurs rapports et fait d’eux une équipe de choc, soudée par l’amitié.

Et puis il y a Stéphane Brindille.  Un extraterrestre ? Une sorte de Harry Potter ? Jeune stagiaire dans la police, diagnostiqué Asperger à l’âge de dix ans, nous dit-il, passionné de films américains, il connaît toutes les répliques culte et trouve toujours à brûle-pourpoint celle qui s’applique à la situation ou mieux encore celle qui lui inspire un début de piste.

Affublé de TOCS, nous dit GV, obsédé par le poids des objets, il a la manie de peser tout ce qui lui tombe sous la main, un trombone, un cendrier, une cuillère à café, etc. Mais ce qu’il aimerait par-dessus tout pouvoir évaluer, c’est le poids de certaines choses invisibles et pourtant essentielles, le poids du silence, du secret, de la conscience ou du remords, par exemple, et la liste n’est pas exhaustive.

Intelligent, toujours un peu décalé dans l’action, fragile, hypersensible, il a des intuitions de génie, et il va montrer une détermination farouche dans son travail d’enquêteur.

Les personnages secondaires, mais non moins intéressants sont nombreux, attention de ne pas s’y perdre. Sous peine de devoir revenir en arrière dans la lecture, il est important de les mémoriser :

Mais pour nous faciliter la tâche, les noms sont soigneusement choisis, rien n’est laissé au hasard.

Xavier Locoste, responsable de la sécurité, « Drôle de nom pour un type qui bosse dans une boîte où la compétitivité doit être encore plus vitale que l’oxygène. », nous dit Stéphane.

James Leroy, jeune cadre performant « Costard bleu nuit, chemise blanche ouverte sur un cou bronzé façon Club Med, pompes italiennes lustrées comme une vitrine de la Riviera et montre high-tech connectée à toutes les places financières de la planète »

Damien Faust, il n’est pas docteur, mais comptable et ne pactise pas avec le diable.

Le commissaire Laugier, la commissaire Élisabeth Faraci, de la brigade financière de Toulouse.

 

L’enquête sur cette série de suicides de femmes, se déroule dans les coulisses de cette grande entreprise du I commerce, et s’immisce dans les labyrinthes obscurs du darknet.

Les rebondissements se succèdent à une vitesse folle, le lecteur est déstabilisé, malmené. Impossible de prévoir où l’auteur veut le mener.

 Le récit ne suit pas une piste, mais plusieurs, à la fois, qui partent dans tous les sens.  Le rythme est endiablé.

L’action est relatée dans des chapitres extrêmement courts, qui s’enchaînent comme des séquences de film. Cette construction subtile, l’agencement soigneusement orchestré des chapitres crée une ambiance cinématographique, qui rejoint d’ailleurs dans l’esprit la passion de Stéphane Brindille pour les films des années 90.

Cette concordance renforce, je trouve, la cohérence de ce roman.

Le suspens est total. Et jusqu’à la dernière ligne.

Écriture sobre, dynamique, efficace, qui colle au rythme du scénario. On a du mal à reprendre son souffle. Des formules qui claquent.

J’aime les gens, mais je ne sais pas quoi leur dire.

Des dialogues vivants.

J’ai aimé la poésie distillée en petites gouttes comme l’averse sur les parebrises, au hasard des chapitres :

« Il y a comme un désir de beauté qui s’est installé. Même dans les mots » 

 

18 réflexions sur “Usual victims, Gilles Vincent

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