Condor, Caryl Ferey

Le livre : Condor de Caryl Ferey.  Paru le 17 mars 2016 chez  Gallimard à la Série Noire. Réédité en poche le 7 janvier 2021 en Folio. Policier, n° 850. 9€40. (499 p.) ; 18 x 11 cm

4e de couv : 

Condor

Dans le quartier brûlant de La Victoria, à Santiago, quatre cadavres d’adolescents sont retrouvés au cours de la même semaine. Face à l’indifférence des pouvoirs publics, Gabriela, jeune vidéaste mapuche habitée par sa destinée chamanique et les souffrances de son peuple, s’empare de l’affaire. Avec l’aide de son ami Stefano, militant rentré au Chili après plusieurs décennies d’exil, et de l’avocat Esteban Roz-Tagle, dandy abonné aux causes perdues qui convertit sa fortune familiale en litres de pisco sour, elle tente de percer le mystère. Dans un pays encore gangrené par l’héritage politique et économique de Pinochet, où les puissances de l’argent règnent en toute impunité, l’enquête dérange, les plaies se rouvrent, l’amour devient mystique et les cadavres s’accumulent…

L’auteur : Né en 1967, voyageur et scénariste, Caryl Férey s’est imposé comme l’un des meilleurs auteurs de thrillers français avec Zulu, Grand Prix de littérature policière 2008 et Grand Prix des lectrices de Elle 2009. Après Mapuche, prix Lire et Landerneau 2012, ont suivi Condor, Paz et Lëd.

 

Extraits :
« L’ambiance était électrique Plaza Italia. Fumigènes, musique, chars bariolés, les hélicoptères de la police vrombissaient dans le ciel, surveillant d’un œil panoptique les vagues étudiantes qui affluaient sur l’artère centrale de Santiago.
Gabriela se fraya un chemin parmi la foule agglutinée le long des barrières de sécurité. Elle avait revêtu un jean noir, une cape de plastique transparent pour protéger sa caméra des canons à eau, de vieilles rangers trouvées aux puces, le tee-shirt noir où l’on pouvait lire « Yo quiero estudiar para no ser fuerza especial 1 » : sa tenue de combat.
C’était la première manifestation postélectorale mais, sous ses airs de militante urbaine, Gabriela appréhendait moins de se frotter aux pacos – les flics – que de revoir Camila.
Elles s’étaient rencontrées quelques années plus tôt sous l’ère Piñera, le président milliardaire, lors de la révolte de 2011 qui avait marqué les premières contestations massives depuis la fin de la dictature. »
« Ici l’éducation était considérée comme un bien marchand. Chaque mensualité d’université équivalait au salaire d’un ouvrier, soixante-dix pour cent des étudiants étaient endettés, autant contraints d’abandonner en route sauf à taxer leurs parents, parfois à vie et sans garantie de résultats. À chaque esquisse de réforme, économistes et experts dissertaient sans convoquer aucun membre du corps enseignant, avant de laisser les banques gérer l’affaire – les fameux prêts étudiants, qui rapportaient gros.
Si après quarante années de néolibéralisme ce type de scandale n’étonnait plus personne, leur génération n’en voulait plus. Ils avaient lu Bourdieu, Chomsky, Foucault, le sous-commandant Marcos, Laclau, ces livres qu’on avait tant de mal à trouver dans les rares librairies de Santiago ou d’ailleurs. Ils n’avaient pas connu la dictature et la raillaient comme une breloque fasciste pour nostalgiques de l’ordre et du bâton ; ils vivaient à l’heure d’Internet, des Indignés et des réseaux sociaux, revendiquaient le droit à une « éducation gratuite et de qualité ». Les étudiants avaient fait grève presque toute l’année, bloqué les universités, manifesté en inventant de nouvelles formes, comme ces zombi walks géants où deux mille jeunes grimés en morts-vivants dansaient, synchrones, un véritable show médiatique devant des bataillons casqués qui n’y comprenaient rien. Piñera avait limogé quelques ministres pour calmer la fronde mais les enseignants, les ouvriers, les employés, même des retraités s’étaient ralliés aux contestataires. »

Le post-it de la bibliothécaire

Condor, Caryl Ferey

Caryl Ferey construit un thriller brutal, sur fond de géopolitique et de société. De même que dans Mapuche et ses fantômes de l’Argentine, les horreurs de la dictature chilienne sont en filigrane dans le passé des personnages et dans la mentalité du pays.

Mais que nous raconte ce « Condor »

Des bas-fonds de Santiago au désert d’Atacama, l’histoire du Chili depuis les années 1970 rejoint celle du couple formé par Gabriela, une jeune vidéaste mapuche, et Esteban, un avocat qui tente d’expier un héritage familial trouble en défendant les causes perdues, le temps d’une enquête menée sous la forme d’un road-trip.

J’ai lu presque d’une traite ce livre terrible et haletant : étonnamment bien documenté, magnifiquement bien construit, nous emportant à la suite de ce trio attachant, à travers tout le Chili d’aujourd’hui, hanté par celui d’hier. Un roman qui mélange subtilement les genres : policier, thriller géopolitique et une brève et intense histoire d’amour.

Une lecture addictive, dont on ne ressort pas indemne.

 

Autres extraits : 
« Les forces antiémeutes ne tiraient plus à balles réelles sur la foule, comme au temps de Pinochet : elles se contentaient de repousser les manifestants au canon à eau depuis les blindés avant de les matraquer. Des dizaines de blessés, huit cents arrestations, passages à tabac, menaces, Gabriela avait tout filmé, parfois à ses risques et périls.
Chassée par les gaz lacrymogènes et la charge des pacos, elle fuyait parmi les cris et les sirènes quand une main l’avait tirée sous un porche. Celle de Camila Araya, la présidente de la Fech 2, croisée plus tôt en tête de cortège. Elle aussi était essoufflée.
— Ça va, rien de cassé ?
— Non, non… »
« Elles étaient deux réfugiées trempées des pieds à la tête quand la guerre hurlait dehors : on entendait des tirs sporadiques derrière la porte cochère, le crépitement des barricades en feu, les haut-parleurs recrachant les ordres de dispersion, les sabots de la police montée et les cris des étudiants qu’on jetait sur les trottoirs pour les frapper. Leurs regards s’étaient croisés, sur le qui-vive. Des lycéens avaient été arrêtés un mois plus tôt, déshabillés dans un commissariat et soumis à toutes sortes d’humiliations – d’après les témoignages, les flics se focalisaient surtout sur le sexe des filles…
— N’aie pas peur, avait murmuré Camila.
— Je n’ai pas peur.
Il y eut une série de chocs contre la porte cochère derrière laquelle elles se terraient, des appels à l’aide et des insultes : les forces antiémeutes s’acharnaient sur un étudiant à terre, là, à moins d’un mètre. Camila tenait toujours la main de Gabriela, comme si la lâcher pouvait les trahir. Chaque seconde en paraissait mille jusqu’à ce qu’enfin le danger s’éloigne. »

Lu dans le cadre de 2 défis littéraires :

– Challenge Thriller et polar 2022- 2023 chez Sharon

 – Challenge « Le tour du monde en 80 livres » chez Bidb (France).

11 réflexions sur “Condor, Caryl Ferey

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