Une vérité changeante, Gianrico Carofiglio

Une vérité changeante de Gianrico Carofiglio ; traduit de l’italien par Elsa Damien. Paru le 5 mai 2022 chez Slatkine & Cie.15€. (156 p.) ; 22 x 15 cm
4e de couv : 

Bari vaut bien un meurtre.

Un homme au passé trouble est retrouvé mort, tué d’un coup de couteau à la gorge. Une vieille voisine est absolument certaine d’avoir vu un jeune au comportement suspect s’enfuir du bâtiment où le crime a eu lieu. La femme a noté un numéro de plaque d’immatriculation et remarqué que le garçon avait jeté quelque chose dans une poubelle.

À ce stade, l’affaire semble close.

Mais Pietro Fenoglio n’est pas totalement convaincu, il sent que quelque chose d’étrange plane autour de ce meurtre.

Sa persévérance permettra-t-elle de faire éclater la vérité ?

L’auteur : Expert en arts martiaux, ancien magistrat rompu aux enquêtes criminelles et auteur de romans noirs, l’écrivain italien Gianrico Carofiglio né à Bari en 1961 s’est forgé avec sa série Guerrieri une renommée internationale en tant qu’auteur de « légal thriller ». Mais il a plus d’une corde à son arc et écrit également des romans tout aussi passionnants. N’oublions pas qu’il a été procureur, conseiller du Comité anti-mafia au Parlement italien, il a été sénateur de 2008 à 2013 et que ses livres sont traduits dans le monde entier.

 

Extraits : 
« Cardinale Lorenzo, dit u tuzz – c’est-à-dire « le coup de tête » –, faisait des braquages, il était spécialiste des banques et bureaux de poste. Ses complices et lui avaient une technique simple et très efficace : ils volaient une grosse cylindrée, voire un camion, puis attendaient l’heure de fermeture au public des établissements, quand les coffres-forts étaient ouverts, les minuteries des systèmes de sécurité désactivées, et les employés occupés à compter l’argent. Là, ils lançaient la voiture – ou le camion – en marche arrière contre la vitrine blindée, la défonçaient, entraient armes aux poings, prenaient l’argent et repartaient. Évidemment, dans un autre véhicule. Celui utilisé pour défoncer la vitrine restait coincé là, telle une installation post-moderne, et c’est ainsi que la police ou les carabiniers le retrouvaient. »
« Le maréchal Pietro Fenoglio connaissait bien u tuzz. Pendant des mois, les hommes de son équipe avaient enquêté sur lui et, ce matin-là, ils allaient enfin l’arrêter, en exécution d’une ordonnance de placement en détention provisoire – selon l’expression consacrée –, pour un certain nombre de ses hold-up.
L’acte du juge datait de plus de deux semaines, mais quand ils étaient allés le cueillir, u tuzz n’était pas chez lui. Ils l’avaient cherché pendant des jours, jusqu’à ce qu’un indicateur leur fournisse la bonne information.
Le fils de Cardinale souffrait de crises d’épilepsie, et ce matin-là, son père allait l’emmener à la polyclinique pour un scanner cérébral.
Ils étaient trois : le brigadier Sportelli, l’aspirant Montemurro et Fenoglio. Ils garèrent la Fiat Ritmo à une vingtaine de mètres de l’entrée du centre neurologique et, exactement comme l’informateur l’avait annoncé, Cardinale, sa femme et leur enfant arrivèrent à onze heures.
— Les voilà, dit Sportelli en sortant son pistolet et en ouvrant la portière.
— Qu’est-ce que tu fais avec ça ?
Le brigadier resta une main sur la poignée et l’autre sur la crosse de son arme.
— On ne va pas le cueillir ?
— Tu veux tirer sur l’enfant ?
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
Fenoglio ignora sa question. »
« Fenoglio chargea le brigadier Sportelli de préparer les actes concernant Cardinale – procès-verbal de notification de l’ordonnance de placement en détention provisoire, mandat de dépôt, rapport pour le procureur et le juge d’instruction – et il demanda deux voitures. Ce matin-là, c’était lui qui commandait la Division, en tant que maréchal ayant le plus d’ancienneté. Le capitaine suivait une formation pour devenir major et il était absent depuis des mois ; le lieutenant, dont la santé était fragile, était en arrêt maladie depuis plusieurs jours. En réalité, il y avait bien le maréchal Lombardi, qui avait beaucoup plus d’ancienneté que lui – beaucoup plus d’ancienneté que n’importe qui –, mais cela faisait longtemps que sa présence n’avait plus qu’un rôle purement décoratif. Enfin, façon de parler. »

Le post-it de Ge

Une vérité changeante, Gianrico Carofiglio

J’avais découvert Gianrico Carofiglio en 2004 avec « Un témoin inconscient » paru à l’époque chez Louis Audibert qui venait de lançait sa nouvelle collection polar. Mais très vite repéré par Rivages, ce titre et les suivants nous on fait découvrir les aventures de Guido Guerrieri, avocat à Bari. Je ne souvient avoir fait un petit retour de ce premier roman traduit en France, reparu en poche trois ans plus tard  sous le titre « Témoin involontaire ». Un petit billet pour « Les crimes de l’année » qui malheureusement n’est jamais paru car notre revue c’est arrêtée cette même année. Et je me rend compte que depuis je ne vous est jamais parler ici de cet auteur italien que j’aime vraiment beaucoup. Alors il n’est jamais trop tard pour se rattraper.

Gianrico Carofiglio nous propose ici un roman très court. Juste un peu plus de 150 pages. Mais en si peut de pages il nous fait vivre intensément ce suspense.

Mais alors que nous raconte « Une vérité changeante »: Nous sommes dans les Pouilles, dans les années 80 A Bari, un homme au passé trouble est assassiné. Une vieille voisine affirme avoir vu un jeune homme s’enfuir. Elle a noté la plaque d’immatriculation de la voiture dans laquelle il est monté. L’affaire semble facile à résoudre mais le maréchal Pietro Fenoglio est tourmenté par un sentiment étrange. Un coupable semble tout désigné, un petit malfrat sans envergure, c’est trop simple. Surtout que les explications de celui-ci lors de son interrogatoire font immédiatement tiquer l’enquêteur. Aussi notre flic pousse plus loin ses investigations.

Nous sommes là dans une enquête classique me direz-vous, oui à priori. Car c’est vrai que l’on va suivre cette enquête à la recherche du « vrai » coupable avec l’inspecteur Fenoglio. Mais avec notre maréchal de la brigade d’intervention rapide de Bari, on va aussi découvrir sa ville, ses ruelles, ses traditions, sa cuisine, tout ici est délicieusement évoqué. N’oublions pas non plus que Barri est un port, et que cette proximité avec la mer créer une ambiance particulière, on pense au migrant bien sûr, mais aussi à tous les trafics possibles et imaginables que ce port du sud de la péninsule italienne draine à longueur d’année. Et avec tout cela, la mafia n’est jamais loin.

Gianrico Carofiglio connaît bien son sujet, lui qui a été conseiller au parlement pour le comité anti-mafia et sénateur jusqu’en 2013, il est aussi magistrat et il sait qu’à Barri, peut-être plus qu’ailleurs tout à un prix pour qui connaît le système et qu’il existe toutes sortes de manières de faire dévier le cours d’une enquête ou de la justice. Il nous dévoile aussi une ville aussi animée qu’inquiétante.

Ce que j’ai aimé aussi son enquêteur italien, un type posé, très humain et grand fan de Conan Doyle pour ne rien gâcher. Je l’avais déjà découvert dans « Grand froid » paru en 2021 mais qui se passe une décennie plus tard alors que la Mafia, toujours elle, fait régner la terreur dans les rues de Bari. D’ailleurs ses deux polars peuvent se lire séparément et aussi, je crois, dans n’importe quel ordre.

J’ai aussi apprécié le style enlevé et l’écriture fluide de notre auteur qui fait de cette histoire une lecture très agréable.

A n’en pas douter, Gianrico Carofiglio s’il est l’une des révélations du roman noir italien contemporain de ces 15 dernières années, il est devenu un auteur incontournable. Et il le confirme à nouveau ici. Si ce roman est court il n’en est pas moins dense et comme souvent chez notre auteur, il se dégage de celui-ci une intensité et un humanisme bienvenue. Je crois vraiment que Carofiglio est un maître des situations et des ambiances et « Une vérité changeante » nous le prouve une nouvelle fois.

autres extraits
« Pellecchia partit  et Fenoglio demeura quelques minutes sur le palier, absorbé dans ses pensées. C’est excellent quand une enquête démarre aussi vite et aussi fort. Cependant, dans certains cas, on court le risque de se concentrer sur un seul aspect et de négliger tous les autres détails, qui pourraient être importants, sinon décisifs. Or là, il sentait que quelque chose n’était pas à sa place, mais il n’arrivait pas à identifier quoi. Il y avait une incohérence, un élément dissonant. Fenoglio avait toujours pensé que le talent fondamental du flic, c’était précisément cela. Fenoglio avait toujours pensé que le talent fondamental du flic, c’était précisément cela : aller à la recherche des discontinuités, des fausses notes. Percevoir ce qui échappe aux autres : les petits objets manquants, les positions anormales, les gestes forcés, les légers essoufflements, les rougeurs, les regards qui fuient ou s’attardent trop. Qui est là et ne devrait pas y être ; qui va lentement alors qu’il devrait aller vite, ou qui va vite alors qu’il devrait aller lentement ; qui regarde autour de soi , ou qui a l’air de ne rien regarder ; la loquacité excessive ou le mutisme. Les régularités altérées ou exagérées. Les présences ou les absences, comme dans sa nouvelle préférée de Sherlock Holmes, Étoile d’argent. De temps en temps, il se répétait la phrase clef de ce récit : pourquoi le chien n’a-t-il pas aboyé ?
À bien des égards, le bon flic est comme le bon médecin. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’une capacité à percevoir différente. Il y a la vue, bien sûr. Mais aussi l’ouïe, le toucher, l’odorat. »
« D’après vous, quelles sont les qualités les plus importantes pour faire un bon enquêteur ?
– Avant tout, celle-ci.
– Laquelle ?
– Ne pas avoir peur de poser des questions. Même apparemment naïves. Aux yeux des autres, mais aussi à ses propres yeux. Il ne faut rien tenir pour acquis.
– Et encore ?
– Il faut s’entraîner à observer. Je veux dire, pas seulement avec les yeux. Il faut bien faire fonctionner ses sens. Tous. Regarder, écouter, toucher, renifler aussi. Prendre note. Et si tu es un bleu, il faut savoir quand parler et quand te taire.
– Pourquoi ?
– Parce que, quoi que tu dises, il est de toute façon très probable que tu ne seras pas pris au sérieux. Soit tu dis simplement une connerie ce qui, puisque tu es un bleu, est facile, et alors les autres ont raison de ne pas te prendre au sérieux. Soit tu as vraiment une bonne intuition, mais alors, – à moins que tu aies un chef intelligent, ce qui arrive, mais pas souvent -, en général, ça énerve. Donc, on ne te prendra pas au sérieux non plus, mais tu te retrouveras avec un chef qui, quelques jours plus tard, présentera ton idée comme si c’était la sienne. Et le plus beau – ou le plus moche -, c’est que la plupart du temps, il n’est même pas de mauvaise foi.
– Einstein disait que le secret de la créativité, c’est de savoir cacher ses sources.
Fenoglio médita quelques instants sur cette citation.
– C’est juste. Ca me plaît. Dans un sens, c’est aussi le secret du succès dans une carrière d’enquêteur. Quoi qu’il en soit, je dirais qu’en fin de compte, les qualités fondamentales des meilleurs enquêteurs, ce sont l’obstination et la patience. Tu peux tomber sur des gens plus intelligents que toi, mais si tu t’accroches pour résoudre un problème, en général, tu y arrives. »

Livre lu dans le cadre du défi littéraire

– Challenge Thriller et polar 2022- 2023 chez Sharon

3 réflexions sur “Une vérité changeante, Gianrico Carofiglio

Vous avez la parole, laissez un commentaire, ça fait toujours plaisir.

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s