Avis d’Expert, saison 2 : Affaire n° 16 : Les sœurs Papin

Avis d’Expert, saison 2 : Affaire n° 16 : Les sœurs Papin

Je parie que vous avez eu peur ! Vous avez flippé quand ce matin vous n’avez pas vu votre avis d’expert.

Alors pas de panique, Cathie ne nous a pas totalement oubliés. Et voici donc votre article du lundi.

Rassurez ?


Avis d’Expert, saison 2

Affaire n° 16 : Les sœurs Papin

Affaire n° 16 : Les sœurs Papin.

En 1933, l’opinion publique se passionne pour cette affaire criminelle insolite, deux criminelles pour deux victimes, et se scinde en deux camps : ceux qui considèrent les sœurs coupables et réclament un châtiment exemplaire, c’est-à-dire la peine de mort ; ceux, bien moins nombreux, mais relayés par la presse de gauche, notamment le journal L’Humanité, érigeant les deux femmes en victimes emblématiques de l’exploitation des classes laborieuses par une bourgeoisie corrompue, sujet alors en plein cœur de l’actualité politique et sociale.

   Acte 1 : Folie furieuse ?

   La folie seule peut-elle expliquer le geste insensé perpétré par deux jeunes filles sans histoire, deux sœurs que rien ne prédisposait au crime. Et quel crime ! Christine et Léa Papin, domestiques dans une honorable famille de la bourgeoisie du Mans, se sont acharnées sur leur patronne et sa fille Geneviève. Après leur avoir arraché les yeux, elle ont atrocement mutilé les deux corps à grands coups de marteau et de ciseaux.

  La police, arrivée sur les lieux, a d’abord pensé que les domestiques avaient subi le même sort. Or, au lieu de s’enfuir, elles s’étaient enfermées dans leur chambre et s’ étaient allongées sur leur lit et étaient restées prostrées. Elles ne firent aucune difficulté pour reconnaître qu’elles étaient l’auteur du massacre des deux femmes et s’étaient laissées arrêter sans opposer une quelconque résistance. Une fois les faits établis, il fallait leur trouver une explication en cherchant dans la personnalité des deux sœurs l’improbable motif à ce crime apparemment gratuit.

   Acte 2 : Enfance misérable.

   Christine, née le 8 mars 1905, et Léa, née le 15 septembre 1911, ont grandi dans une famille modeste où elles n’ont connu, en guise d’affection, que l’alcoolisme violent de leur père et l’indifférence méprisante d’une mère infidèle. Clémence Derré et Gustave Papin se sont mariés en octobre 1901. Quatre mois plus tard naissait leur premier enfant, Emilia. Après avoir découvert que son mari avait violé leur fille aînée, à peine âgée de dix ans, Clémence demande le divorce, prononcé en 1913, sans que soit dénoncé le délit d’inceste, un doute planant sur la paternité biologique de Gustave. Emilia est placée dans une maison de correction puis rentre dans les ordres.

  Quant à Christine et Léa, leur mère les placera au pensionnat du Bon Pasteur, à Angers, une institution austère où on inculque aux jeunes filles, outre les travaux de couture et de broderie, l’humilité et la soumission. Mais, sur ordre de leur mère , les deux jeunes filles sont régulièrement placées dans d’autres institutions religieuses ou comme domestique chez des femmes vivant seules, jusqu’à ce que Christine soit placée, à l’âge de 22 ans, chez la famille Lancelin. Deux mois plus tard, elle obtient que sa petite sœur soit engagée à son tour pour la seconder.

  Malgré la différence d’âge qui les séparait et les nombreuses séparations au gré de leurs différents placements, les deux sœurs sont toujours restées unies par une puissante et, il faut bien le dire, troublante relation. Bien entendu, l’enquête va s’attacher à comprendre quels rapports existaient entre les deux sœurs et leurs patrons.

 

   Acte 3 : Contexte de l’affaire.

   En avril 1926, Léonie Lancelin, 56 ans, épouse de René Lancelin, ancien avoué honoraire et administrateur de la Mutuelle du Mans, décide de renouveler son personnel pour tenir sa maison bourgeoise située au 6 de la rue Bruyère, au Mans. Elle engage alors Christine comme cuisinière et, deux mois plus tard, sa sœur Léa comme femme de chambre. Les règles en vigueur dans la maison sont strictes comme dans une maison bourgeoise où chacun doit tenir sa place : les domestiques n’ont de contact qu’avec madame Lancelin qui donne ses ordres à Christine, les transmettant à son tour à sa sœur. Mais elles perçoivent un bon salaire, sont nourries, logées et blanchies. Certes, madame Lancelin, maniaque, passe chaque jour sa main gantée sur la surface des meubles afin d’y traquer la moindre trace de négligence, mais les deux sœurs sont décrites comme des domestiques modèles aussi bien par leurs anciens employeurs que par monsieur Lancelin, les voisins et amis de la famille, notant cependant une certaine intolérance de la part de Christine face aux observations faites par ses patrons. Ayant peu de besoins et ne sortant jamais, elles économiseront, en 7 ans de service, la somme rondelette de 22 200 francs.

  Au début de février 1933, alors que la ville du Mans se prépare à fêter les 10 ème anniversaire de la célèbre course automobile « les 24 heures du Mans », la ville est secouée par le scandale financier du Comptoir d’Escompte, ruinant les petits actionnaires qui y avaient souscrit auprès des Mutuelles du Mans. René Lancelin, patron des deux sœurs, est inculpé de complicité.

   Acte 4 : Reconstitution du crime.

  Le jeudi 2 février 1933, les dames Lancelin sont sorties. En leur absence, Christine repasse du linge tandis que Léa fait le ménage. C’est alors que le fer à repasser fait fondre les plombs de l’installation électrique, plongeant la maison dans le noir. Dès son retour, Christine informe sa patronne de l’incident, entraînant une dispute, madame Lancelin, ayant fait réparer son fer à repasser récemment par un électricien, soupçonne sa domestique d’une coupable négligence. Le ton monte, madame Lancelin bouscule Christine, qui réplique. Geneviève vient au secours de sa mère, tandis que Léa intervient à son tour.

  Ce fut alors le déchaînement d’une folie meurtrière que Christine racontera lors de l’instruction sur un ton détaché, comme si elle était étrangère à l’agression : « Voyant que je ne venais pas à bout de madame Lancelin, je me suis mise en furie, je lui ai enfoncé mes ongles dans les yeux et je les ai arrachés. C’est alors qu’elle est tombée. Ma sœur de son côté en a fait autant à Melle Lancelin qui est également tombée. Quand elles ont été par terre, nous sommes allées chercher le marteau et le couteau dans la cuisine pour les arranger comme vous avez pu le voir. »

  C’est avec ces deux armes et un pot en étain qu’elles ont tailladé et martelé les deux victimes, s’acharnant sur elles jusqu’à leur décès. Le docteur Chartier, médecin légiste, évoque dans son rapport « une bouillie sanglante. Leur forfait accompli, les deux sœurs nettoient la scène de crime, se lavent à leur tour et se mettent au lit, se préparant à dire qu’elles n’ont fait que se défendre.

  René Lancelin, de retour de son cercle à 19 heures, trouve sa maison close. Inquiet, il appelle le commissaire Dupuy qui dépêche deux gardiens de la paix et le greffier Bouttier. Une fois dans la maison, ils ne tardent pas à tomber sur les cadavres des deux femmes ciselées comme des lapins prêts à cuire. Craignant que les deux domestiques aient elles aussi été victimes d’un assassinat, ils montent à l’étage où se trouve leur chambre. Après avoir fait ouvrir la porte par un serrurier, ils trouvent les deux femmes couchées dans le même lit, littéralement collées l’une contre l’autre. Christine avoue alors qu’elles sont responsables du double meurtre, sans toutefois être capable de fournir le moindre motif. Elle dira seulement qu’elle « regrette ce que nous avons fait et si c’était à refaire, certainement que je ne le referai pas. Je n’avais aucun motif d’en vouloir à mes patronnes. »

   Acte 5 : Expertise psychiatrique.

   A plusieurs reprises, lors de leurs interrogatoires, les deux sœurs ont déclaré qu’elles n’avaient absolument rien à reprocher à leur patronne et à la fille de cette dernière. D’ailleurs, elles possédaient suffisamment d’économies pour éventuellement chercher une autre place ou s’établir à leur compte comme boutiquières. Totalement isolées, elles n’avaient demandé, en l’espace de sept ans, aucune autorisation de sortie. Elles passaient tout leur temps libre enfermées dans leur chambre. Elles ne sortaient que le dimanche pour se rendre à la messe. Elles ne lièrent jamais aucun lien ni avec de jeunes hommes, ni avec les domestiques des maisons voisines. Une affection exclusive les unissait, à la limite de l’homosexualité incestueuse.

  La question de la responsabilité se pose dès lors qu’on a affaire à des actes inexpliqués. Il est à peu près certain qu’aujourd’hui n’importe quel jury reconnaîtrait les sœurs Papin comme irresponsables. Il ne prononcerait donc pas de peine, mais ne pourrait pas non plus décider de les enfermer dans un hôpital psychiatrique, l’hospitalisation, démarche purement médicale, ne pouvant être considérée comme une peine. Dans ce cas, la cour serait contrainte de prononcer un non-lieu : tout homicide ayant été commis en l’état d’irresponsabilité ne pouvant légalement être défini comme un crime.

  Concrètement, c’est l’autorité administrative, en l’occurrence la Préfecture de Police, qui décide ou non de l’internement psychiatrique de la personne jugée irresponsable. La personne aliénée qui a bénéficié d’un non-lieu judiciaire ou qui se trouve emprisonnée à la suite d’une condamnation, est placée dans un établissement de soins après que plusieurs certificats médicaux ont établi son irresponsabilité. D’où l’importance capitale de l’avis des experts.

   Acte 6 : Le procès.

   L’instruction dure 25 semaines. En juillet 1933, survient un rebondissement inattendu : Christine change sa version des faits en s’accusant seule du meurtre des deux femmes Lancelin. De ce fait, le juge d’instruction modifie l’acte d’accusation, Léa devenant la complice de sa sœur. Le procès, très médiatisé, s’ouvre le 28 septembre 1933 au tribunal du Mans et ne durera qu’une journée. La foule qui se rue au Palis de justice en ce jour d’automne est si dense que, pour la première fois, le maire est contraint d’en réglementer l’accès.

  Dans l’hypothèse où les jurés estimeraient que Christine et Léa ont agi en état de démence, alors, comme le stipule l’article 64 du code pénal, elles ne peuvent être tenues pour responsables du crime commis. Reste à savoir ce qu’est exactement la démence, et si tel prévenu en est atteint. Raison pour laquelle les experts en psychiatrie sont écoutés avec une attention particulière. Le problème est que  leurs dépositions sont extrêmement ambiguës.

  Pour le docteur Swarzimmer, première à présenter ses conclusions, l’alcoolisme du père et les tendances hystériques de la mère ne suffisent pas à induire chez les accusées des troubles psychiques graves et conclue que ces dernières sont tout à fait responsables de leurs actes. Pour sa part, le docteur Logre, second expert, est plus circonspect concernant ce dernier point.

  Considérant la faiblesse et le caractère contradictoire des deux dépositions, les avocats des prévenues, maître Germaine Brière, première femme inscrite au barreau du Mans, et maître Chautemps réclament une nouvelle expertise, mais dans le souci de ne pas remettre en cause la compétence des experts précédemment cités, leur requête est rejetée.

  Acte 7 : La sentence.

  Quand vient le moment du réquisitoire, le procureur, suite à la plaidoirie de l’avocat de la partie civile, maître Moulinière, insiste alors tout à loisir sur l’atrocité du crime commis à l’égard de patronnes irréprochables, passant sous silence les antécédents familiaux des deux sœurs, le basculement possible dans une relation incestueuse, la vie singulièrement solitaire et retirée qu’elles menaient. Certes, l’acharnement sadique dont elles ont fait preuve à l’encontre des cadavres de madame Lancelin et de sa fille, le sang-froid avec lequel elles ont nettoyé leurs ustensiles ne plaident pas en leur faveur.

  Le 29 septembre 1933, après seulement 40 minutes de délibération, temps bien court pour juger d’un crime aussi complexe, les deux accusées sont déclarées coupables. Christine est condamnée à la peine capitale, tandis que Léa est condamnée à dix ans de travaux forcés accompagnés de vingt ans d’interdiction de séjour. Mais le 22 janvier 1934, l’aînée des sœurs est graciée par le président Lebrun, sa peine étant commuée en travaux forcés à perpétuité. Emprisonnée à la prison centrale de Rennes, elle sombre dans un état dépressif grave, refusant toute alimentation. Hospitalisée quelques mois plus tard à l’asile d’aliénés Saint-Méen de Rennes, elle passe le plus clair de son temps prostrée et muette ? Elle meurt le 18 mai 1937 à l’âge de 32 ans.

  Quant à sa cadette, bénéficiant d’une remise peine et libérée en 1941, elle occupera divers emplois de femme de chambre dans de nombreux hôtels du grand Ouest. Devenue vieille, elle est recueillie par une famille nantaise chez qui elle s’éteint le 24 juillet 2001, à l’âge de 89 ans.

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