Interview David Gauthier pour « Corvidés » – Premier roman aux éditions Envolume

Interview David Gauthier

Il y a quelques jour notre Flingueuse Sylvie K vous proposait son avis sur le premier roman de David Gauthier « Corvidés« 

Aujourd’hui on vous propose d’en connaître un peu plus sur son auteur

Interview David Gauthier

David Gauthier est né en 1990 à Cenon. Enfant, il est marqué par la lecture d’Harry Potter et envisage un temps de devenir sorcier professionnel avant de se rendre compte que ce métier n’existe pas. Tant pis, il sera journaliste. Tant mieux, il sillonne les campagnes de sa région et prend des cafés avec tout le monde. Ce qui lui donne beaucoup d’inspiration et un début de tachycardie. Il vit aujourd’hui à Angoulême, le plus grand village de Charente.

Corvidés – Premier roman aux éditions Envolume

Une petite ville de province, un journaliste qui débarque. Sept jours pour résoudre l’énigme des lettres anonymes qui enflamment la région vinicole.

Nicolas Berger, journaliste à La Gironde est prévenu : « Les gratte-papiers qui mettent le nez dans mes plumes ne savent pas à qui ils ont affaire. Cette histoire ne les regarde pas, ils sont ici que pour vendre du papier, ternir l’image de notre village » a écrit le corbeau. Cabossé par une histoire de cœur qui a mal tourné, il pensait se mettre au vert en acceptant cette enquête à Salerac, du tout cuit d’après son rédacteur en chef. Mais la petite affaire de lettres anonymes au milieu des vignes est plus tordue que prévu et le reporter va y laisser des plumes. Pas de mobile et trop de suspects, surtout quand Nicolas Berger se laisse embarquer par des belles rencontres et perd le fil de son enquête.

 

 

 

Interview David Gauthier

Pourquoi avoir mis en scène un corbeau ?

C’est le pouvoir de nuisance d’une lettre anonyme qui m’a fasciné. C’est un poison qui s’insinue dans la tête des destinataires : « Qui m’en veut ? Pourquoi moi ? »

À Salérac, les accusations sont nombreuses et précises. L’effet est dévastateur. Le corbeau fragilise de vieilles amitiés, attise les rancœurs, révèle la nature sombre des personnes. Nicolas Berger, journaliste à La Gironde, arrive dans un contexte tendu sans connaître les enjeux liés à ces lettres.
Nicolas Berger est un homme torturé au début du roman…
Nicolas Berger est à un tournant de sa vie. Il a 36 ans, pas d’enfant. Il rumine sa rupture et ne trouve plus de sens dans son travail. Mélancolique, il se laisse souvent envahir par ses souvenirs d’enfance et il souffre du manque d’une figure paternelle. Il pourchasse un corbeau mais cherche avant tout des réponses sur lui-même.

Le narrateur est journaliste, comme vous. Pourquoi le choix de s’inspirer de votre profession ? Y a-t-il des similitudes entre le personnage et vous ? 

Je voulais écrire sur quelque chose que je connais. Mais ce n’est pas un livre sur le journalisme.
D’ailleurs, Nicolas Berger oublie quelques règles du métier pendant son enquête. Il se prend parfois pour un policier, mélange son travail et sa vie privée. Avec Nicolas, nous avons des traits de caractère en commun, mais ça s’arrête là. Pour créer mes personnages, je me suis
inspiré de mes proches ou des gens que je rencontre chaque semaine grâce à mon métier. J’ai aussi laissé une grande part de fiction et d’invention, c’est le cas pour le marin brocanteur ou l’institutrice danoise à la retraite, par exemple. Finalement, ils prennent vie littéralement. J’ai l’impression de pouvoir discuter avec eux pendant des heures.

Pourquoi avoir inventé un village du Sud-Ouest pour y développer votre intrigue ?

J’ai grandi dans un village de Gironde. Je voulais ancrer l’histoire dans un territoire familier
pour plus d’authenticité. Choisir une vraie commune imposait trop de contraintes. J’ai préféré
créer Salérac de toutes pièces, ses halles, sa petite mairie, ses terrains de tennis défraichis, son
auberge qui fait aussi relais colis, presse, bar, restaurant… Je voulais également situer le récit
sur une terre viticole. Avec ce que cela implique : l’omniprésence des châteaux, l’usage des
pesticides, l’argent…

 

Extraits de Corvidés de David Gauthier

« Je passe ma vie en terrasse des cafés à observer celle des autres. C’est une mine d’or pour un journaliste. Bien meilleure que les réseaux sociaux. Il suffit de tendre l’oreille – pas au sens propre si vous voulez rester discret – pour palper le pouls d’une ville, les préoccupations des habitants. Je me souviens d’un sujet sensible et tristement banal, dans une commune rurale. Un changement de circulation obligeait les voitures à contourner le centre-ville. Les commerçants, déjà à l’agonie, se sentaient condamnés. Et si je n’étais pas en train de siroter un peu trop bruyamment mon café ce matin-là, dans le troquet du village, je n’aurais jamais pris connaissance de la petite virée improvisée de quelques commerçants dans le bureau du maire. Tendre l’oreille, toujours, près du comptoir si possible. »
« Mon moral lugubre n’a échappé à personne au journal. D’habitude si disert, je m’enferme dans le mutisme dès la première heure, casque soudé aux oreilles. Je ne parviens plus à me dépouiller de ma cape noirâtre de mélancolie pour l’accrocher, comme chaque matin, au porte-manteau de la rédaction. Elle m’enveloppe tout entière. Bien sûr, je reste réceptif et agréable au possible. Mais les collègues n’insistent pas. Même Théo a abdiqué, d’habitude si friand de nos jeux de mots hasardeux. Il ne passe plus sa tête blonde au-dessus de son ordinateur pour me lancer une grimace. Mon humour devient trop grinçant.
– Ça va en ce moment, Nicolas ?
Le bureau de Gérard est resté bloqué dans les années 1980. Tapisserie vieillotte, agencement ringard, vestige de la folie « open space » débarquée des États-Unis, qui a rendu les ambiances au sein des journaux si faussement détendues. Il est rédacteur en chef de La Gironde depuis trop longtemps. Le bureau en bois doit dater d’une époque où le géant des meubles suédois n’existait même pas. Tout cela génère dans mon esprit une image de Gérard, la vingtaine et une coupe afro, se déhanchant comme un damné sur un rythme disco. La même vision à chaque fois que je suis assis là, à ne rien écouter.
– Nicolas, ça va ?
– Ouais, ouais.
– Ouais, non ça ne va pas. On l’a tous vu, assène-t-il. T’es passé du gros déconneur de service au mec taiseux, presque trop sérieux. Ce n’est pas un défaut, hein, d’être sérieux. Mais ça se sent dans tes articles. C’est plus plat, plus lisse. Ça reste solide dans les infos mais c’est loin de ce que tu produisais il y a quelques années.
« Produire », comme si un journaliste était une machine, et un article un produit. Ce jargon me dégoûte. Il doit avoir remarqué ma petite grimace, car il garde sa bouche ouverte, comme s’il venait d’avaler sa prochaine phrase.
– On a tous des soucis personnels, finit-il par lâcher. Parfois on a besoin de couper, de s’éloigner.
– Tu me proposes des congés ? J’ai déjà dit non. Je tourne en rond chez moi, alors que je suis sur quinze dossiers au bureau. Certains sujets sont déjà passés de chaud à tiède, voire glacial. Je n’ai pas le temps.
– On va faire un mix des deux. Tu pars sur un reportage, loin du siège du journal, dans la campagne. Si tu ne ramènes pas de sujet, on s’en fout. Le but c’est que tu repasses les portes de la rédaction avec une autre gueule, pas du genre à donner envie à un clown de se suicider, s’emporte-t-il. Bon, tu m’écoutes ?
– Oui, oui.
– Ton collègue de notre édition la plus isolée ne sait pas quoi faire de ça.
Il attrape une feuille de papier sur son bureau et me la tend. Lui seul arrive à s’y retrouver dans cet océan de paperasse.
– Un corbeau sévit dans le village de Salérac depuis plusieurs semaines. Il envoie des lettres comme ça à tout le monde. Ça tombe chaque jour, comme un couperet. Les habitants n’osent même plus aller chercher leur courrier. C’est Mathieu, le petit jeune qui couvre la zone, qui l’a scannée et nous l’a envoyée ce matin. Je l’ai appelé pour avoir des précisions.
– Et elles disent quoi, les lettres ?
– Lis celle-là, t’as des yeux, non ?
– Tu ne veux pas que je la lise à haute voix en plus ?
– Lis, Nicolas.
La patience de Gérard frise le néant. Derrière une bonhomie apparente et sa carrure de rugbyman, la carapace se fend à la moindre frustration et laisse s’échapper une boule de nerfs incandescente. Et je ne suis pas le dernier pour attiser la bête. Lui tenir tête m’amuse.
– J’espère que c’est du Baudelaire.
Les lettres, assemblages de traits fins et droits, se ressemblent toutes et semblent provenir du même moule. Je me racle la gorge : (…) 

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