L’âme du fusil, Elsa Marpeau

Le livre : L’âme du fusil d’Elsa Marpeau. Paru le 26 août 2021 chez Gallimard dans la collection La Noire. 16€. (181 p.) ; 21 x 14 cm

4e de couv :

L’âme du fusil

Depuis qu’il est sans travail, Philippe passe ses journées à attendre. Attendre que Lucas, son fils de seize ans, rentre du lycée, attendre que sa femme termine sa journée de travail. Il n’y a guère que les dîners du dimanche avec ses copains du hameau, la chasse et la perspective d’y initier son fils qui rompent le fil des jours.

Lorsque Julien, un Parisien venu se terrer dans la maison d’en face, débarque, la vie de Philippe bascule. Il se met à épier ce voisin qui le fascine et l’obsède, cherche à le faire accepter de son entourage qui s’en méfie.

Tout au bonheur de se sentir à nouveau vivant et utile, et d’exister pour son fils et ce voisin novice, Philippe ne voit pas poindre le drame.

 

MARPEAU ELSA - PHOTO © FRANCESCA MANTOVANIL’auteur : Elsa Marpeau a grandi à Nantes. Ancienne élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm à Paris, elle est agrégée de lettres modernes et titulaire d’une thèse sur le théâtre du xviie siècle. Elle a vécu à Singapour, d’où elle a tiré son récit en forme d’autobiographie fictive L’expatriée (prix Transfuge 2015, prix Plume de Cristal 2013), et publié six romans à la Série Noire dont Les yeux des morts (prix Nouvel Obs – BibliObs du roman noir 2011) et Son autre mort en 2019. Elle est aussi scénariste, on lui doit entre autre ‘« Capitaine Marleau » avec Corinne Masiero ou encore « Alexandra Ehle »  interprétée par Julie Depardieu.

 

Extraits :
« J’ai tiré à bout touchant. Deux coups dans son ventre.
Son corps a basculé, il est retombé sur les tommettes.
Une tache de sang a gonflé sous son dos, sous sa tête. Comme une peinture éblouissante.
Dehors, le jour commençait à se lever, une lumière chaude m’a enveloppé. Dans le silence parfait des champs, j’ai pris une bêche et j’ai creusé un trou.
Il n’y aurait pas d’autres funérailles que celles-ci, minuscules et bâclées.
J’ai jeté son corps dans le trou, que j’ai recouvert de terre. Avec mon pied.
Ensuite, je suis remonté dans la chambre et j’ai attendu. »
« C’était l’été d’avant le tremblement final, l’été d’avant l’Apocalypse, de l’écroulement du monde. Un homme qui, comme moi, a passé toute sa vie à la campagne sait toujours interpréter les variations du climat, lire les mots que tracent à dessein les volutes des nuages, comprendre à quel point l’alternance des saisons change le cours du ciel. Et des saisons, justement, il n’y en avait plus. Rien n’était comme avant. Mars avait été sublime. En mai, il avait plu sans arrêt, une petite pluie fine, tenace, une pluie salope qui vous trempe sans arroser la terre, à croire qu’elle s’est juré
de vous glacer les os sans jamais atteindre le sol, de vous briser en deux sans faire pousser les semailles. Je savais qu’un jour, la planète se vengerait de nous autres, qui lui vidangions les tripes sans discontinuer, mais j’avais imaginé une vengeance plus grandiose, plus décisive. Un truc sec
comme un couperet. Une météorite. Un cyclone, à la rigueur.
Mais pas ce dérèglement poussif, ce brouillage lent et méticuleux de ce qui jusque-là faisait la chair de nos existences. »

Le très long post-it de Ge

L’âme du fusil, Elsa Marpeau

« L’âme du Fusil » vous connaissez ?

Ok les chasseurs parmi vous me diront que c’est le diamètre de la partie interne du canon ou l’âme du canon. Non moi je vous parle ici du dernier roman d’Elsa Marpeau ;  « L’âme du fusil » un joli titre, non ?

Aussi… Voilà des semaines que je cherche à vous parler de ce bouquin, des semaines que j’ai adoré ce cette lecture des semaines que je n’arrive à trouver les bons mots pour en parler.

Pourtant j’ai encore les mots, les phrases de l’auteure qui me trotte en tête. Ils résonnent encore en moi. Comme… Une impression de déjà vu, de déjà lu, mais dans le bon sens du terme, une impression que ces mots faisaient déjà partie de moi. Que l’auteur a exprimer en mieux des sentiments qui ont pu être les miens dans ma jeunesse campagnarde. Comme si j’étais en totalement connexion avec l’histoire que me raconte notre auteur. Une histoire sous forme de confession, de longue lettre que le héros Philippe écrit à son neveu qu’il connait peu afin de lui exposer les faits de cette folle et terrible histoire.

Mais d’ailleurs que quoi parle « L’âme du fusil »

Philippe a été licencié de son usine de conditionnement et s’ennuie profondément, attendant toute la journée le retour de sa femme Maud et de son fils de 16 ans, Lucas. Ses seules distractions sont les dîners du dimanche avec ses amis et la chasse. Lorsque Julien, un Parisien, s’installe dans la maison voisine, Philippe est fasciné et se met à épier le nouveau venu.

Il y a dans ces pages une violence sous-jacente, il y a aussi une certaine incompréhension de l’autre et cette impossibilité de communiquer.

D’ailleurs l’arrivée de Julien Langlois bouleverse la vie de la communauté des habitants, à commencer par celle de Philippe.

Philippe qui est troublé par ce nouveau voisin mais il n’ose dire son trouble. Qui ne sait pas dire. Pire il fantasme sa relation avec lui, il l’imagine même avec Maud sa propre femme. Car la sexualité est aussi au centre de merveilleux roman, la sexualité et l’identité sexuelle, le genre aussi. Sur la virilité, celle aussi du rapport entre un père et son fils adolescent. Un père qui tente de se rapprocher de son gamin en l’initiant à la chasse et aux armes à feu.

Philippe lui va inviter Julien à rejoindre sa bande de pote du dimanche. Avec Didier, Steeve, Patrick il forment la bande des quatre. Des gars du cru, un brin grivois, plutôt machos sans doute homophobes. Les femmes à la cuisine car ici les femmes n’ont pas leur place sauf peut-être Maud, l’épouse de Philippe. Il faut dire que Maud est seconde dans un restaurant deux étoile et qu’elle gagne bien sa vie alors que son mari est chômeur et au RSA et c’est elle qui fait tourner la baraque. Elle qui fait bouillir la marmite. Cela aussi doit travailler la virilité de son homme. Un mec qui gagne moins que sa meuf ça la fout mal, non ?

Mais l’âme du fusil se n’est pas que ça, c’est aussi une chronique sociale, une chronique rurale. Car ici la ruralité prend tout sa place, celle qui lui revient. C’est du retour à la nature, à la terre, celle qui nourrit. Dans ce coin de Yonne, il y a les paysans, les vignerons, les ouvriers, les artisans et tous ce petit monde si différent, si disparate, se retrouve pourtant. Oui une activité commune les unit, la chasse. Cette chasse que personnellement j’excrète et qui pourtant est un ciment du tissu social de nos compagnes. Je me souviens de mon grand père qui adoré la nature, les balade dans les bois et les forêts avoisinantes, je le revois partir avec ses chiens et son fusil sur l’épaule. Oh le fusil resté souvent sur l’épaule, la chasse n’étant qu’un prétexte et lui de m’expliquer que rentrer dans cette confrérie des chasseurs c’était pour lui, l’étranger, le plus sur moyen de se faire accepter de cette communauté.

L’âme du fusil est encore un hymne à la nature, à sa préservation, c’est à travers le regard de notre héros, le changement des saisons, la disparition de abeilles, des oiseaux aussi, c’est le cycle de la vie perturber. C’est le dérèglement climatique, l’apocalypse annoncée, le dérèglement économique et l’effondrement à venir. C’est l’avenir incertain. La remise en cause de notre société et de nos modes de vie. C’est un monde qui se doit de changer mais qui reste immobile.  C’est la montée des inégalités, c’est celles des gilets jaunes. C’est une fracture sociétale entre la France rurale et l’autre France, l’urbaine

L’âme du fusil est un polar intégral, un polar rural, un polar social et sociétal mais aussi un polar écolo. Il porte en lui cette force troublante de la grande littérature. Car je vous le disais les mots d’Elsa Marpeau sont d’une justesse folle. Son style épuré presque froid qui la caractérise sert à merveille son propos. C’est limpide, ça coule de source. On sent le drame arriver mais pour autant impossible de le deviner dans son ensemble car le talent de notre autrice c’est aussi de nous surprendre avec un final totalement inattendu.

Bravo madame Marpeau, voilà du bel ouvrage. J’en suis encore toute retournée, toute bouleversée.

Vous ne serez pas surpris-e si je vous dis que l’âme du fusil est un énorme coup de cœur !

3 réflexions sur “L’âme du fusil, Elsa Marpeau

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