Et si, pour une fois, on leur donnait la parole ? Saison 2 Episode 23

Et si, pour une fois, on leur donnait la parole ?

Saison 2 Episode 23

« Des interviews. Mais pas les habituelles rengaines égocentrées des auteurs. Parce que, finalement, dans un roman, qui va au charbon ? Le personnage ! »

Et si on leur donnait la parole ? S02E23

par Nick Gardel

 

Bonjour. Oulà ! Ça va être compliqué… Je vous explique, je demande à Michael Mention de me mettre en rapport avec un des personnages de son roman POWER et finalement, comme il ne fait rien comme tout le monde, il en invite trois ! Comment je me débrouille moi ? Il faudrait déjà faire les présentations, parce qu’on ne va pas s’en sortir…

Charlene : Salut. Eh ben, j’ai 17 ans, je suis une Panther de Philadelphie et… heu… en fait, j’ai pas trop le temps, là. On a une manif à 10 heures, une distrib’ de bouffe à midi et un procès à suivre tout l’aprem’… tu sais quoi ? Passe au bureau, ce sera plus simple. Je te présenterai Roy et les autres, tu vas voir, ils sont cools.

Neil : Bonjour. Je m’appelle Neil O’Brien, je suis d’origine irlandaise et je suis agent du L.A.P.D. J’aime mon job, malgré ses contradictions. Le plus dur, c’est de côtoyer mes collègues. La plupart sont racistes, ils sont obsédés par les Noirs. « Nègres », j’entends ça tous les jours et ça devient pénible… Et vous ? Qui êtes-vous ?

Tyrone : Mec, je sais pas qui t’es, mais là, ça commence mal.

Question générale, quels sont à chacun vos traits de caractère prépondérants ?

Charlene : « Prépon… » ? C’est quoi, ce mot ? Tu cherches à me piéger, c’est ça ?

Neil : Je crois en Dieu et, je pense, ça suffit à me résumer. Je Lui dois tant, Il me donne de la force au quotidien. Sans Lui, j’aurais lâché mon job depuis longtemps. Quand j’ai débuté, je faisais essentiellement de la prévention, mais depuis quelque temps, on est passé à la répression. Ça me déplaît mais il le faut, avec les gangs et tous ces fous dans les rues… et puis, il y a les Black Panthers. Eux, je n’arrive pas à les cerner. Ils font du social, ils parlent d’égalité, mais paradent avec leurs armes… parfois, ils s’en prennent à nous. Bref, c’est compliqué mais, heureusement, Dieu est avec moi.

Tyrone : Encore toi ? Mec, pourquoi tu viens me faire chier ? Je suis un infiltré, tu sais ce que c’est ? Je suis coincé entre les Feds et les Panthers, alors franchement, tes questions…

Vous êtes très différents les uns des autres. Vous ne venez pas des mêmes milieux. Comment en êtes-vous arrivés là ?

Charlene : Tu sais, nous, on est marxistes et on reconnaît aucun dieu, aucun créateur. Tu parles du mec qui parle à ma place, c’est ça ? Franchement, je sais pas quoi te répondre. Je sais qu’il est Blanc, qu’il est français, qu’il a l’air sincère. Apparemment, il vient d’une famille de gauchos et notre combat, ça lui parle. Le reste… comme je t’ai dit, il a l’air sincère, mais je me méfie des Blancs. Ils ont assassiné mon frère et me pourrissent la vie depuis que je suis née.

Neil : Au risque de paraître prétentieux, je dirais que – de nous trois – je suis le personnage qui ressemble le plus à Michael. Du moins, dans la première moitié du roman… Michael est athée, c’est vrai, mais il est aussi idéaliste que moi. Si ce n’était pas le cas, il ne se serait pas impliqué à ce point. Lui et moi, on se connaît peu, mais je sais une chose : on fait au mieux, au quotidien. Essayer de rester intègre, de ne pas se laisser gangréner par l’agressivité ambiante, le discours anxiogène des médias… pour lui, je ne sais pas, mais moi, j’ai tout fait pour résister à la tentation du Mal. Tout.

Tyrone : Mention, c’est un Blanc. Et moi, je suis Noir. Quand j’étais en taule, il était tranquille chez lui, à Paris, avec sa meuf. Ça te suffit ou je développe ?

« N’empêche, ça fait du monde… Alors dans la réalité, c’est lui qui raconte ou c’est vous qui dictez ? »

Charlene : Houlà… compliquée, ta question. Non, c’est sûrement pas lui qui raconte. Et moi, je dicte rien, c’est pas dans ma nature. Si j’étais chef, je dis pas, mais là… en fait, je vois ça comme une collaboration, comme quand on manifeste avec des Blancs : je vis des trucs, je distribue le journal, je surveille les flics, et lui, il m’accompagne. Un peu comme un journaliste, quoi.

Neil : Il n’existe aucun rapport dominant/dominé entre nous. A chaque page, on se raconte l’un l’autre. Après, c’est sûr, dès que je bascule, c’est autre chose. Là, Michael va davantage dans le romanesque, mais après tout, c’est son job.

Tyrone : Pff… chaque jour, je fais la pute pour le FBI et ça me ronge, j’en peux plus… alors ta question « est-ce que c’est Mention qui parle ou pas ? », j’en sais rien et je m’en fous. C’est vrai que lui, je le porte pas dans mon cœur, vu qu’il fait son beurre sur mes malheurs, mais je dois reconnaître un truc : à chaque fois que je culpabilise, que je suis pris à la gorge, il parle de ce que je ressens. Il s’y prend pas toujours bien, mais il essaie, et ça me fait du bien, j’ai l’impression d’être un peu moins seul. Ça me fait chier de le reconnaître, mais c’est vrai.

Quels rapports vous entretenez avec lui ?

Charlene : J’ai déjà répondu à ta question. Et faut vraiment que j’y aille, on m’attend à la section.

Neil : Avec Michael, ce qui nous lie, c’est la foi. Il croit en moi et moi, je crois en Dieu. Et ce qui est assez curieux, c’est que dans le roman, quand ça bascule, Michael me lâche au moment où je rejette la religion. Comme s’il ne pouvait pas me suivre dans mon obsession…ce qu’il fait pourtant jusqu’à la dernière page. C’est étrange, un écrivain, vous ne trouvez pas ?

Tyrone : Aucun. Et quand bien même, j’aurais pas envie. Tu sais, mec, de nous trois, je suis celui qui en chie le plus. Je sais que, dans le bouquin, Charlene finit par partir en vrille et l’autre aussi, mais moi, ça pue dès le début. Tu comprends ce que je veux dire ? J’ai même pas deux, trois chapitres où ça va bien : je finis là où j’ai commencé, dans la merde. Et ça, c’est de la faute de Mention. Alors, non, j’entretiens aucun rapport avec lui et ça vaut mieux pour sa gueule.

Niveau communication, vous échangez ensemble, vous discutez ?

Charlene : Non. J’ai pas le temps et lui non plus. Mais j’aurais bien pris un verre avec lui, pour qu’on parle de la fin du bouquin.

Neil : On réfléchit ensemble, on s’interroge sur telle ou telle situation, on essaie de comprendre ce qu’il se passe. Trop de gens se positionnent politiquement et moralement sans prendre le temps de la réflexion. C’était déjà tendu à mon époque et j’ai l’impression que ça a empiré dans les années 2000, avec les réseaux sociaux. Je pense que la colère de Michael – du moins une partie de sa colère – vient de là et qu’il a écrit mon personnage en réaction à tout ça : quand la plupart des gens autour de toi sont bornés, ça doit faire du bien d’avoir un personnage nuancé.

Tyrone : Non, et ça vaut mieux. Tout ce que je sais, c’est qu’on écoute la même musique et c’est déjà pas mal.

Reste la question du quotidien. Comment vous occupez-vous ?

Charlene : Je ne « m’occupe » pas, je continue ce que je fais au quotidien : manifs, collecte de médocs, dépistage des maladies, patrouilles de nuit… c’est un peu méprisant, ta question. Comme si j’avais besoin de ce Blanc pour exister.

Neil : Quand Michael est au boulot ou avec sa famille, je patrouille dans les rues de L.A. J’aime ça, c’est assez agréable. Quand Michael n’est pas là, je sais que mes rondes se passeront bien, mais s’il revient, je sais qu’il va se passer quelque chose. Une mise à l’épreuve, comme lorsque mon équipier a été tué par des Panthers.

Tyrone : Je fais ce que je fais au quotidien : je mens. Aux Panthers, aux habitants du ghetto, à ma mère. Putain, elles m’emmerdent tes questions.

Et rapidement, pour conclure ?

Charlene : « Le pouvoir au peuple ».

Neil : « Pardon ».

Tyrone : « Foutez-moi la paix ».

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