S’adapter ou mourir, Antoine Renand

Le livre : S’adapter ou mourir de Antoine Renand. Paru le 7 octobre 2021 chez Robert Laffont dans la collection La Bête Noire. 21€. (571 p.) ; 23 x 14 cm

4e de couv :

Elle a 17 ans et s’est enfuie de chez sa mère pour se sentir enfin libre. Accompagnée de son petit ami, elle fait escale chez un homme qu’elle n’a jamais rencontré mais avec lequel elle discute depuis des mois sur Internet. Elle en a fait son confident. Alors qu’il pourrait bien s’agir du plus abject des monstres…

Il a 40 ans, est réalisateur de cinéma, en couple avec la même femme depuis leurs années de lycée. De soudains déboires conjugaux et professionnels le contraignent à trouver un job alimentaire : modérateur pour Lifebook, le plus important des réseaux sociaux. Sa mission : supprimer des vidéos interdites du fait de leur caractère choquant, sexuel ou ultraviolent.

Dans une société en constante évolution, où le précepte « S’adapter ou mourir » connaît des résonnances tant dans la folie meurtrière des hommes que dans le monde du travail, les destins de ces deux êtres, si éloignés au départ, finiront par s’entrechoquer.

L’auteur : Antoine Renand est un écrivain, scénariste et réalisateur français né en 1979 dans l’Ain. En 2019, il publie son premier roman, L’Empathie, aux éditions Robert Laffont. Très remarqué par la critique et par le public, le livre est lauréat du prix Nouvelles Voix du polar et finaliste du prix Maison de la presse. Fermer les yeux, sorti l’année suivante, est de nouveau finaliste du prix Maison de la presse et connaît le même succès.

 

Extraits :
« Tout semblait se refermer sur moi : mes métiers, mon mariage. Je perdais la dernière chose qui me préservait un peu de l’échec. Je pris conscience que je n’avais rien construit de solide, tout s’était effondré. Hormis mon fils… Mais n’importe quel con était capable de faire un fils. »
« Lorsque la situation était devenue invivable chez elle et que sa mère et son nouveau beau-père, Nino, lui avaient interdit de fréquenter Adrien, elle avait révélé à Baptiste son projet de prendre la route et ce dernier lui avait proposé de les accueillir pour une nuit.
— Je serai ravi de vous aider, lui avait-il dit. Personne n’a à vous empêcher de vivre votre amour. Les vieux débloquent parfois complètement. Vous serez les bienvenus, je dirai rien à qui que ce soit ; en revanche, tu dois faire la même chose de ton côté car je prends un risque… Je peux aller en prison pour ça, tu sais ? Ta mère va appeler la police, ils vont fouiller ton ordinateur fixe. Avant de partir de chez toi, tu devras supprimer nos discussions sur ton PC. Il y a des fichiers cachés que beaucoup de gens ne connaissent pas mais que moi je connais, et la police encore mieux. Je t’indiquerai comment les effacer. Et tu ne dois parler de moi à aucun de tes amis, pas même à Chloé. Je t’ai déjà posé la question : tu ne l’as pas fait ? Tu me le jures ? »
« En vérité, je me dois ici d’être plus honnête : j’ai longtemps fait semblant de ne pas savoir quelle était la raison du problème, alors que je pense la connaître. Il s’agit d’un non-dit dans ma famille, quelque chose que mes parents, malgré leur bienveillance et leur bonne humeur apparente, ne verbalisaient pas. Un secret, durant mon enfance. Un tabou, sur lequel je peine encore à mettre des mots, même par écrit, car on ne m’a pas montré l’exemple.
La sœur de mon frère est morte, avant ma naissance. Je dis sa sœur, alors qu’il s’agit également de la mienne, car lui l’a bien connue. Et aimée, je le sais. Et préférée à moi.
Bertrand n’en parlait jamais. Mes parents faisaient eux aussi tout pour éviter le sujet. Elle n’avait qu’un an et demi de moins que Bertrand et, lorsqu’elle succomba à un lymphome, mes parents, dans leur désespoir et pour ne pas sombrer, décidèrent de faire un nouvel enfant. Moi.
Ma mère et mon père étaient déjà âgés et m’ont chéri, protégé, démesurément. Mon frère, je crois, ne m’a jamais accepté. »
« Après avoir fermé la porte de leur chambre, Ambre constata que la serrure n’avait pas de clé, ce qui en soi n’avait rien d’anormal. Adrien s’était laissé tomber lourdement sur le matelas, les yeux dans le vague. Ambre s’étendit à côté de lui, en position fœtale, le temps que sa nausée se dissipe.
— J’ai la gerbe, lui dit-elle, pas toi ?
— Non, mais je suis cassé.
— T’endors pas avant d’aller faire ta toilette…
Ambre détestait se coucher sans s’être douchée et brossé les dents. Elle comptait juste se reposer quelques instants, prendre ses affaires et rejoindre la salle de bains. Elle eut seulement le temps de remarquer que les paupières d’Adrien s’étaient fermées, avant de sombrer à son tour. »

 

Le  long post-it de Ge

Il y a quelques semaines je passe chez une de mes dealeuses de livre, la griffe noire pour ne pas la citer et là forcément je parle polar avec mes libraires et particulièrement avec Jean Edgar. Je lui demande se qu’il a lu de beau dernièrement et lui de me répondre, « le dernier Antoine Renand. Il sort dans une dizaine de jours mais vraiment si tu veux quelques choses de très efficace, je te le conseille. » Alors moi forcément je note.

Là-dessus, Isa une amie me demande, un peu au débotter, si je serai partante pour animer deux tables rondes lors du prochaine Seille de Crime qui aurait lieu le 20 et 21 novembre prochain. Je lui réponds :

– « Ecoute avec plaisir si j’arrive à avoir ce week-end en congé ».

– Alors vois ça avec Yvan, c’est, tu t’en doutes, lui qui animera les deux autres débats.

Ok ni une ni deux, avec le sire en question on discute et dans la foulée je propose les deux thèmes de mes futures tables ronde à mes deux amis.

Oui je sais cette introduction est un peu longue, et en plus elle n’est pas tout à fait finie !

L’une de ces tables rondes je décide de l’appeler « Le polar qui décoiffe et qui ose tout ». J’ai deux participants évident pour celle-ci, le troisième manque à l’appel. Aussi je me rappelle se que mon libraire m’a dit et sans encore avoir lu le livre, forcément il n’est pas encore sorti, je rajoute Antoine Renand à ma liste d’auteur, ça me parait une évidence d’un coup.

Depuis j’ai acheté le livre et je me suis plongé dedans et franchement j’ai eu la bonne intuition car véritablement ce polar décoiffe et ose tout !

Mais ça c’est encore Yvan qui en parle le mieux avec Emotions et c’est ICI.

Mais alors que nous raconte « S’adapter ou mourir »

En conflit avec sa mère, Ambre, 17 ans, s’enfuit avec son petit ami en direction du sud de la France où ils s’arrêtent chez Baptiste, que l’adolescente a rencontré sur Internet. Pendant ce temps, Arthur, un réalisateur quadragénaire, débute un nouveau travail de modérateur de contenus pour les réseaux sociaux. Très vite, il est confronté à des images d’une rare violence.

Vous l’aurez compris notre auteur nous raconte successivement deux histoires. Enfin ces deux histoires sont plus imbriquées que cela. Il y a cette adolescente en rupture, qui part un peu à la dérive et qui en fougeant se met en danger. Mais ça elle ne le sait pas encore. Et puis il y a ce type qui au mitan de sa vie s’aperçoit que celle-ci n’est pas celle qu’il avait imaginée. Son couple bat de l’aille et sa carrière ne décolle pas, obligé qu’il est de prendre un job pour bouffer. Un job qui va le bouffer en réalité.

Le point commun entre ces deux-là, les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux et tout ce qu’ils peuvent contenir de perversité. Les prédateurs qui rôdent et qui peuvent manipuler nos enfants à travers la toile, à distance, en toute impunité. Des mecs qui gagent la confiance des jeunes filles avant de les rencontrer dans la vraie vie et là qui finissent par montrer leur vrai visage !

 Et puis l’envers du décor que l’on découvre avec ces « éboueurs du net ». Ces gens qui des heures durant sont confrontés à la violence des propos mais surtouts des images que transporte continuellement la toile. Des vidéos de pervers en tout genre, de détraqués mentaux, de terroriste qui décapitent pour un oui pour un non, de malade en mal de reconnaissance prêts à tout et n’importe quoi, au pire surtout pour faire le buzz. Et derrière nos écrans, une armée « d’éboueurs du Web » modère en permanence les réseaux sociaux. Ils font le sale boulot à l’abri de nos regards. Et tous les jours, des dizaines de milliers de personnes, nettoient les réseaux sociaux de leurs contenus les plus choquants. Sévices d’animaux, images dégradantes de pratiques pornographiques particulièrement déviantes, photos d’assassinats commis par des gangs ou des enfoirés de terroristes. Ces tâches peuvent menacer la santé psychologique des modérateurs. Car oui, quand on manipule les poubelles remplies d’ordures en tout genre, on finit forcément par se salir.

Voilà pour le fond de l’histoire quant à la forme elle, elle est tout bonnement parfaite. Chaque partie de l’histoire a son propre rythme. La première nous fait comprendre la psychologie de chacun des personnages, elle nous imprègne de leur ressenti, nous ne sommes plus qu’empathie. La seconde elle accélère, d’actions en rebondissement l’auteur ne nous laisse plus respirer, nous sommes happés, en apnée.

L’écriture est très visuelle, cinématographique je pourrais dire, exactement ce qu’il faut pour illustrer le propos de l’auteur.

Et je ne vais pas vous parler de la fin, vous vous en douter. Juste qu’elle est comme on l’espérait, comme je l’espérais. Un final remarquable totalement bluffant. Un scénario millimétré impeccable. Bravo monsieur l’auteur et je vous dis à bientôt pour une petite confrontation.

 

Autres extraits : 
« (…) j’ai peut-être un plan pour un boulot, du genre inespéré dans ta situation, à mon avis : pas besoin de conduire, même pas besoin de faire d’efforts ; il faut passer la journée derrière un ordi, à regarder tout un tas d’images. Du genre violentes apparemment, mais… c’est ton truc, les images violentes, non ? Payé un peu plus que le SMIC, dans le genre, tu trouveras pas mieux. C’est un contact à moi qui bosse dans la société qui gère ça. Je sais qu’ils cherchent du personnel et je peux l’appeler pour toi.
Intrigué, je me penchai en avant et demandai :
— Mais c’est quoi ce boulot ?
— Ils appellent ça de la modération de contenu, j’ai pas beaucoup plus de détails. »
 
 » Cette fois, Ambre s’époumona derrière son bâillon, en s’agitant comme une folle.
— Tais-toi ! Arrête de bouger. ARRÊTE !
Il lui asséna une gifle très brutale, saisit ses cheveux et menaça son visage de son poing fermé.
— Soit t’écoutes ce que je veux te dire, soit je cogne.
Bien que rouge de fureur et de terreur, bien qu’échevelée et hors d’haleine, Ambre cessa de faire du bruit et de se débattre. 
Alors, Baptiste expliqua :
— J’ai laissé la porte ouverte pour que tu voies parfaitement où tu te trouves…
Un battant, monté sur la paroi du container, était en effet ouvert et laissait entrer la vive lumière du jour.
— Même si personne ne peut t’entendre là où on est, je ne veux prendre aucun risque. Et surtout, je veux que tu sois très attentive à ce qui va se passer et à chacun de mes mots… Tu es prête à m’écouter ?
Elle inclina la tête à deux reprises, en reniflant ; luttant pour retrouver son calme et parvenir à inhaler suffisamment d’air.
— Ce que t’as autour du cou, je l’ai spécialement acheté en prévision de ta venue… Sur Internet, ils appellent ça « collier de chienne ». Il est en cuir, très résistant et cadenassé derrière ta nuque. Il n’y a rien que tu puisses faire, et toute tentative d’évasion sera punie.
Ambre commença à sangloter et Baptiste resta muet quelques instants, comme fasciné par ce spectacle.
— J’ai fait d’autres achats avant de vous accueillir, j’ai hâte que tu les voies. Tu te demandes sans doute où est Adrien ? Je vais le chercher.
Il se redressa puis se dirigea gaiement vers la sortie du container, avança sur la terre sèche embrasée de soleil et disparut. Ambre se tortilla de nouveau, puis observa attentivement l’endroit où elle se trouvait. Un plancher en bois avait été posé sur toute la longueur du container. Elle était attachée à une extrémité et, de l’autre côté, elle aperçut un amas de chaînes à même le sol. L’ameublement se limitait au matelas sur lequel elle se trouvait.
Tout à coup, elle entendit du bruit dehors ; des sortes de gémissements plaintifs, mêlés à des sons de frottements ou de pas… Elle se tourna vivement en direction de la porte, attendit… Que survienne la vision d’horreur… »
« — Nous sommes les sous-traitants d’une entreprise… très importante. Bien plus que Ménidas ; mondialement connue et qui souhaite ne pas voir son nom mentionné ; pas à cette étape, en tout cas.
— Pourquoi ? m’étonnai-je.
— Pour des tas de raisons qui les regardent mais sur lesquelles ils ne transigent pas. Si vous acceptez ce travail, vous devrez signer un contrat avec une clause de confidentialité très stricte, entraînant à coup sûr de redoutables sanctions judiciaires en cas de transgression.
S’apercevant que son discours me refroidissait, il reprit, d’un ton plus léger :
— C’est à l’américaine ! Ce sont des clauses usuelles, bien qu’à prendre au sérieux. À côté de ça, le job est plutôt bien payé pour ce qu’il est : cent dix euros de plus que le SMIC, avec des indemnités de repas.
— Mais… c’est quoi précisément, ce métier ? insistai-je.
— Modérateur de contenu, répondit-il comme une évidence. Supprimer certains messages, certaines vidéos…
— Et comment savoir en quoi ça consiste vraiment si vous ne me dites pas de quelle plateforme il s’agit ?
— Vous le découvrirez pendant le stage, qui dure une semaine ; on vous formera, une fois que vous aurez signé le contrat. « 
« — On va faire un tour, vous et moi. Je vous réserve la surprise. Qu’on soit tous bien d’accord encore une fois, reprit-il en agitant le fusil : si vous faites du foin derrière, si j’entends que vous essayez d’attirer l’attention, c’est Adrien qui morflera. Il ne me sert à rien, déclara-t-il comme une évidence. Tu ne me sers à rien, tu m’entends, connard ? Si tu fais le malin, ou si c’est ta copine, je m’arrêterai sur le bord d’une route déserte et je te liquiderai. Et toi, Ambre, le reste du voyage, tu le feras contre son cadavre. Vous m’avez bien compris et vous me prenez au sérieux ?
Les deux hochèrent la tête.
Baptiste, satisfait, attrapa le lourd hayon et le fit claquer. »

15 réflexions sur “S’adapter ou mourir, Antoine Renand

  1. Si cette chronique ne donne pas envie de lire ce roman, j’en perds mon latin ! Le thème des modérateurs du net est plus qu’intéressant. Malgré toutes mes lectures en retard, j’inscris celle-ci ds mon petit carnet …

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