Un anniversaire déjanté : la publication des nouvelles, chapitre dix-neuf

Un anniversaire déjanté : la publication des nouvelles, dix-neuvième chapitre

Nouvelle 19

Vingt ans de Aurore : Cristal Lune

Vingt ans

« Some people want it to happen, some wish it would happen others make it happen[1]. »  Michael Jordan

Prologue

Jonathan, dans sa combinaison de camouflage verte et marron, fixa le jeune homme qui célébrait ses vingt ans aujourd’hui.

Le garçon avait deux ans de plus que lui mais seul Jonathan continuerait d’accumuler des années. Allongé, une fleur rouge se dessinait entre ses pectoraux. Sur sa veste verte, cette tâche ressemblait à un coquelicot qui s’ouvre dans un champ par une belle matinée de printemps.

Une balle en plein cœur.

La vie ne tenait pas à grand-chose. C’était la première fois que Jonathan voyait un mort.

Cinq jours plus tôt

Jonathan ressortit du bureau de son père, le sourire aux lèvres. Son père, Jacob, avait monté son entreprise d’événementiel peu avant sa naissance. Son avantage par rapport à ses concurrents était de proposer des options spéciales, comme d’agir incognito pour assurer qu’un événement organisé par un autre – souvent un particulier – ne serait pas un fiasco. Au fil du temps, il avait développé tout un catalogue de prestations et entendait bien que ses enfants pérennisent l’affaire familiale. Il les y préparait depuis leur plus tendre enfance et chacun était jeté dans le grand bain quand il les sentait prêts.

Ses sœurs, Anne-Lise et Clémentine, le regardèrent, impatientes de savoir comment s’était passée la discussion avec leur père. Ces instants formels étaient toujours des moments angoissants, autant pour celui qui subissait ce tête-à-tête que pour ceux qui en attendaient l’issue. Jonathan était le benjamin de la famille et il portait un lourd poids sur ses épaules : leur mère était décédée d’une hémorragie en le mettant au monde dix-huit ans plus tôt. Jamais il n’en avait été tenu pour responsable, ni par son père ni par ses sœurs. Leur père avait mis un point d’honneur à ce qu’il en soit ainsi et ses sœurs l’avaient entouré d’une affection toute maternelle. Au fil des ans, une extrême complicité s’était forgée au sein de la fratrie, qui continuait de croître encore aujourd’hui, à l’âge adulte.

Comme toujours c’est Anne-Lise qui s’impatienta la première. De cinq ans son aînée, cette grande et jolie blonde était du genre rentre-dedans. C’était une attitude qu’elle avait acquise à ses dépens, lorsqu’elle était en proie aux railleries de ses camarades de classe qu’elle dépassait tous d’une tête.

–  Alors, Jo, qu’est-ce qu’il t’a dit le paternel ?

– Qu’est-ce que cela peut bien te faire, Lise ? répondit-il, un sourire malicieux aux lèvres en sachant que son attitude agacerait sa sœur.

Sa provocation avait marché au-delà de ses espérances. Anne-Lise se jeta sur lui, le fît tomber, s’assit à califourchon sur son ventre et entreprit de le chatouiller. Depuis tout-petits, c’était leur jeu préféré. Malheureusement Anne-Lise, avec sa carrure de nageuse allemande, avait très souvent le dessus.

Soudain, une petite voix légère s’éleva. C’était Clémentine, la cadette de la fratrie, 20 ans, hypersensible et très observatrice.

– Papa lui a demandé de le remplacer pour l’anniversaire qu’il doit organiser la semaine prochaine.

Cette intervention stoppa net les deux joueurs dans leur bagarre. L’un interloqué, l’autre étonné.

– Comment tu sais ça, toi ? demanda Anne-Lise, sur la défensive.

– T’es pas drôle, l’agrume. Avec tes déductions, tu gâches mon plaisir de faire bisquer Lise,  grogna Jonathan, usant de ce surnom affectif que tous avaient adoptés après que leur père l’avait utilisé la première fois.

Jonathan profita de la confusion pour faire tomber Anne-Lise et se relever. Il leur expliqua que leur père lui avait demandé de prendre son relai pour l’anniversaire qu’il organisait cinq jours plus tard. C’était un événement qui requérait de la coordination et de la discrétion.

Jacob s’était cassé le nez et éraflé toute la partie gauche du visage durant les repérages pour ledit événement. C’était très douloureux et il ne pouvait pas se présenter ainsi le jour J. Il aurait pu dénoncer le contrat mais ce mot était absent de son vocabulaire. En presque vingt ans d’activité, il n’avait jamais annulé un seul événement. C’était aussi ce qui faisait sa réputation.

– Papa t’a confié une mission ? À toi ? lança Anne-Lise mi-admirative mi-jalouse.

 Elle avait pourtant été la première à suivre les traces de leur père en prenant en charge son premier événement deux ans auparavant. Elle pensait que la prochaine à être impliquée serait Clémentine, et non pas ce gamin de Jonathan.

– Oui, à moi, grande gigue ! C’est une soirée virile de paintball sous la pleine lune. Il lui fallait un homme pour reprendre son rôle. Et vous, vous n’êtes pas équipées, rétorqua-t-il avec un regard sans équivoque. Si tu veux tout savoir, il m’a présenté l’invité d’honneur, le terrain et le rôle que je devrais remplir. Et comme moi, je sais tirer juste, il a dû penser que ce serait un plus, poursuivit Jonathan, provocateur, qui tira la langue à sa sœur quand celle-ci étouffa un rire à l’évocation du mot homme.

Le jour J

 Le Forest Private Club avait exceptionnellement accepté de louer son complexe et sa grande forêt attenante à l’un de ses membres dont le fils fêtait ses vingt ans. L’immense fortune de celui-ci accompagnée d’un généreux don à leurs associations caritatives avaient achevé de les convaincre.

Jonathan avait suivi les instructions de son père à la lettre pour s’assurer du bon déroulement de la soirée organisée par les amis du jeune homme.

Toute la soirée, les serveurs avaient opéré une chorégraphie parfaite pour remplacer discrètement chaque verre de champagne vide et offrir, à l’envi, des petits fours délicats à base de caviar, de foie gras et de homard. Quelques sachets, poudre blanche et cachets roses, étaient disposés çà et là comme des dragées à un mariage.

Avant le lancement de la partie de paintball, les danseuses exotiques avaient fait leur entrée pour réchauffer l’atmosphère déjà bien enflammée. Après leur show, elles avaient promis monts et merveilles aux joueurs en récompense de leur chasse nocturne. Un service spécial qu’elles remplissaient avec ferveur.

Pour le paintball, le lapin tout désigné était le héros du jour. Ses amis n’avaient heureusement pas poussé l’affront jusqu’à lui faire revêtir la tenue de ce mammifère coprophage. Il avait le droit de porter une combinaison de camouflage, quoique légèrement modifiée : vert pomme et crème.

Tout se passait comme prévu. Jonathan était satisfait. Jusque-là, il avait rempli sa mission avec brio et aucun accroc n’était venu perturber la soirée. C’était une organisation spéciale où il fallait agir dans l’ombre. L’efficacité était de rigueur. La discrétion était de mise. Personne ne l’avait vu. Et quand bien même, il avait pris la précaution de se grimer comme c’était l’usage pour ces missions anonymes.

L’ambiance était plus que festive. La testostérone en pleine effervescence. Alcool, sexe et drogue, un mélange explosif qui expliquerait à lui seul la terrible conclusion de cette nuit.

Épilogue

Jonathan rangea ses jumelles, se releva et replia son fusil de précision. Il vérifia minutieusement son environnement à la recherche d’indices de son passage, comme son père le lui avait expliqué, et, n’en trouvant pas, il reprit le chemin escarpé qu’il avait emprunté pour venir s’embusquer sur cette falaise. Ce même chemin qui était à l’origine de son enrôlement in extremis pour cette mission.

À son retour, il pourrait annoncer à son père que la mission avait été un succès. Son tir passerait pour un malheureux accident. Ça arrive. Et le fait que les joueurs soient des adeptes du tir, sous l’emprise de l’alcool et de la drogue, ne feraient que corroborer cette thèse.

La cliente serait satisfaite. Le jeune héritier n’était plus sur son chemin. Peut-être fera-t-elle à nouveau appel à eux pour organiser les soixante-quinze ans de son époux ?

 

[1] Certains veulent que cela se produise, d’autres souhaiteraient que cela se produise et les autres font que cela se produise.

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