Hérétiques de Leonardo Padura

Hérétiques de Leonardo Padura Fuentes ; traduit de l’espagnol (Cuba) par Elena Zayas .Paru le 29 août 2014 chez Métallié. Réédité en poche le 21 janvier 2016 chez Point, Les grands romans. 9€50  (715 p.) ; 18 x 11 cm.
4e de couv :

Lancé sur la piste d’un mystérieux tableau de Rembrandt, disparu dans le port de La Havane en 1939 et retrouvé comme par magie des décennies plus tard dans une vente aux enchères à Londres, Mario Conde, ex-policier reconverti dans le commerce de livres anciens, nous entraîne dans une enquête trépidante qui tutoie souvent la grande histoire. On y fréquente les juifs de la capitale cubaine, dans les années prérévolutionnaires, tiraillés entre le respect des traditions et les charmes d’un mode de vie plus tropical ; des adolescents tourmentés d’aujourd’hui, dont les piercings et scarifications semblent crier au vu et au su de tous leur rejet de l’Homme Nouveau et des carcans faussement révolutionnaires ; mais aussi les copains du Conde, chaleureux et bienveillants, toujours prêts à trinquer à la moindre occasion avec une bonne bouteille de rhum. On y fait même un détour par Amsterdam, en plein XVIIe siècle, à l’heure des excommunications religieuses et des audaces picturales, en compagnie d’un jeune juif qui décide d’apprendre l’art de la peinture, contre toutes les lois de sa religion.

 

L’auteur : Né à La Havane en 1955, Leonardo Padura est romancier, scénariste et journaliste. Il est notamment l’auteur de L’Automne à Cuba, Électre à La Havane, Adios Hemingway, Les Brumes du passé et L’homme qui aimait les chiens, et quelques autres très beaux romans

 

Extraits :
« Le problème c’est que ces jeunes ne croient plus à rien parce qu’ils ne trouvent rien à quoi ils puissent croire. Cette histoire qu’il fallait travailler pour un avenir meilleur qui n’est jamais arrivé, eux, ça leur fait ni chaud ni froid, parce que pour eux ce n’est plus une histoire… c’est un mensonge. Ici, ceux qui ne fichent rien vivent mieux que ceux qui travaillent et ceux qui étudient, qui sortent de l’université avec leur diplôme, ont un mal de chien à obtenir l’autorisation de quitter le pays s’ils veulent partir, quant à ceux qui se sont sacrifiés pendant des années, aujourd’hui ils meurent de faim avec une retraite qui ne leur permet même pas de s’acheter des fruits. Alors eux, les jeunes, ils ne calculent rien : certains partent où ils peuvent, d’autres veulent le faire, d’autres encore vivent de la débrouillardise ou font n’importe quoi pourvu que ça rapporte de l’argent : prostituées, chauffeurs de taxi, souteneurs… Et d’autres deviennent freaks, rockeurs, emos. Si tu additionnes tous ces « autres », tu verras que le compte est sévère, ils sont extrêmement nombreux. »
« Les trois choses les plus importantes que peut recevoir un être humain : l’amour, le respect et la dignité. »
« D’après lui, un pays sans putes, c’était comme un chien sans puces : tout ce qu’il y a de plus chiant au monde. « 

 

 

Le billet d’Humeur de Dame Geneviève

Les Hérétiques de Padura

J’ai vraiment beaucoup aimé ce roman dans lequel je me suis plongée et même immergée à partir d’un certain moment. De ces livres qui vous happent.

J’ai tout aimé : l’information donnée sur Cuba à tous ceux qui, malgré quelquefois une intelligence plutôt brillante, s’enfermaient dans la belle image rebelle du Che et s’accrochaient à un Cuba idéalisé .

J’ai adoré les commentaires distillés comme le rhum du personnage qui raconte le désespoir, comme savent le faire les sud-américains, avec toujours quelque part au coin des lèvres un sourire prêt à renaître, une fête prête à éclore, même ds une cour sordide avec une boîte de sardines et un verre prêt à réchauffer les corps et les cœurs.

Tout m’a appris qq chose d’interessant: le sort du bateau chargé de juifs abusés et rackettés , façon Exodus dont on n’a pas entendu parler  et l’ignominieux cynisme de sa gestion, tant par l’Europe que les US… les mêmes qui prendront des mines de patenôtre

après 1945 en prétendant qu’ « ils ne savaient pas ». Ils auront d’abord pris la peine de saisir bijoux et œuvres d’art que c’est malheureux avait emporté comme sauf conduit dans leur exil et leur exode… La spoliation des biens n’a largement pas été seulement le fait des nazis…

Et puis, l’histoire continue avec la geste des familles , juives émigrées, avant l’ignoble extermination , souvent pour des raisons idéologiques; et puis la rocambolesque émigration des Cubains qui risquaient leur vie plutôt que de se laisser mourir au petit feu des privations-récession. Et soudain, la plongée dans le XVIIe et ses tortueux diktats religieux, Rembrandt et le monde de l’Art nous emportent ailleurs!

Et que dire de l’esprit de résistance qui anime les personnages à diverses époques, leur courage et leur unicité, leur refus délibéré de rejoindre le troupeau. J’oublie certainement encore bien d’autres éléments car ce livre est un foisonnement , une sorte de matriochka  littéraire, chaque histoire en enferme une autre et chaque fois l’intérêt renaît car chaque fois, l’époque ou le point de vue diffère. L’enthousiasme et l’émotion ne m’ont pas quittée depuis que j’ai refermé ce chef-d’œuvre .

 

Autres extraits :
« Elle devait avoir vingt-sept, vingt-huit ans et elle affichait une beauté fascinante. Les cheveux d’un noir profond, les yeux tragiques, d’un vert de forêt vierge, couronnés de sourcils fournis haussés par un léger étonnement, les lèvres pulpeuses, comme botoxées, mais en réalité gonflées par la nature de complexes croisements ethniques. Conde se sentit menacé par de petits seins, dressés vers le ciel en position de canons anti-aériens, et il vit dans les hanches de la femme un havre de paix ou un champ de bataille. Au sommet de sa splendeur, toute sa peau brillait d’un éclat nuancé par cette couleur obtenue avec quelques gouttes de café dans le lait. Angelina Jolie ? Comme cela ne pouvait manquer d’arriver, le machisme de Conde l’obligea à considérer ce beau brin de femme, qui aimait d’autres femmes, comme un douloureux gaspillage de l’évolution. »
 » Tandis qu’ils s’approchaient en voiture de l’adresse que Conde avait indiquée à Élias, le vieux quartier havanais leur révélait son éternel aspect sordide et son délabrement irréversible, de plus en plus flagrant et même blessant. Les maisons, dont la plupart ne bénéficiaient pas d’une terrasse sur le devant, avaient des portes crasseuses donnant directement sur des trottoirs sales. Les rues, pleines de profonds nids-de-poule d’ascendance historique, où croupissaient toutes les eaux possibles, semblaient avoir subi un bombardement méthodique. Les constructions, pour la plupart de matériaux peu nobles, qui avaient dépassé le cycle vital pour lequel elles avaient été programmées, exhalaient sans grâce leurs derniers soupirs. Pendant ce temps, les immeubles, qui avaient prétendu se démarquer de leurs voisins plus pauvres par leur qualité et leur taille, avaient bien souvent été victimes de la fragmentation : depuis des dizaines d’années, on les avait transformés en solares où les familles s’entassaient dans des espaces réduits et devaient encore, en plein XXIe siècle, utiliser ces toilettes collectives qui avaient tant martyrisé Pepe Cartera, à son époque. Dans les rues, sur les trottoirs, aux carrefour, une humanité sans expectatives, en marge du temps ou, pire encore, détaché de lui, regardait passer la brillante Audi avec des regards qui allaient de l’indifférence pour une vie possible qui, pas même en rêve (car ils ne rêvaient plus), ne serait jamais la leur, et l’indignation (leur dernier recours) par rejet viscéral de ce qui leur avait été refusé pendant des générations malgré d’infinis discours et d’infinies promesses. Des êtres dont l’existence, malgré l’obéissance et les sacrifices, s’était écoulée comme un passage transitoire entre le néant et le vide, entre l’oubli et la frustration. »

Lu dans le cadre de 3 défis littéraires :

 – Le Pumpkin Autumn Challenge 2022 chez Guimause

– Challenge Thriller et polar 2022- 2023 chez Sharon

 – Challenge « Le tour du monde en 80 livres » chez Bidb (Cuba).

12 réflexions sur “Hérétiques de Leonardo Padura

  1. […] Collectif Polar : chronique de nuit : son billet de présentation1 Body Language, Allison K. Turner 2 L’île des damnés, Angélina Delcroix 3 Les oiseaux du temps, Amal El-Mohtar et Max Gladstone 4 59, passage Sainte-Anne, Frédérique Volot 5Gideon la neuvième de Tamsyn Muir 6 Un outrage mortel de Louise Penny 7 Les blondes d’Emily Schultz 8Le prix Nobel d’Elena Alexieva 9De l’or et des larmes d’Isabelle Villain 10 Tomber ensemble de Véronique Breger 11 Une insolente curiosité de Lynn Messina 12 Scum : La tragédie Solanas, Théa Rojzman et Bernardo Munoz 13 Du crépitement sous les néons de Rémy Lasource 14 et 15 Bretzel & beurre salé tome 1 et 2, Margot et Jean Le Moal 16 Les enquête de Wyndham et Banerjee de Abir Mukherjee17 Le crépuscule des éléphants, Guillaume Ramezi 18 Mégalithes rock, Sonia Fournet-Pérot 19 Black-out 1, Blitz de Connie Willis 20 La mort est parfois préférable, Sacha Erbel 21 L’ange Dada : heurs et malheurs d’Emmy Hennings, créatrice du cabaret Voltaire , José Lazaro 22 Hilarion : L’araignée d’Apollon, Christophe Estrada  23  L’Analphabète qui savait compter, Jonas Jonasson  24 Âmes animales, J.R. dos Santos  25 Sur le chemin du pardon, David Baldacci 26 Le mystère des petits lavoirs, Nicole Buffetaut  27 et 28   La Chambre des morts suivie de La Mémoire fantôme, Franck Thilliez  29  On était des loups, Sandrine Collette  30 faussaire de Salt Lake City : meurtres et manigances chez les mormons, Simon Worrall   31Hobboes, Philippe Cavalier   32  Avec du sang sur les mains, Adam-Troy Castro – Collectif polar : chronique de nuit 33 Paris se lève, Armand Delpierre 34 Hérétiques de Leonardo Padura* […]

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