Il était une fois la guerre d’Estelle Tharreau

La double Chronique sur Collectif Polar

Quand plusieurs Flingueuses ont lu le même titre, vous avez le droit de découvrir leurs différents avis.

Voici le premier


Le livre :  Il était une fois la guerre d’Estelle Tharreau. Paru le 03/11/2022 chez Taurnada – collection Le tourbillon des mots –  9.90 € (256 pages) ;11 x 18 cm

4ème de couverture :

Sébastien Braqui est soldat. Sa mission : assurer les convois logistiques. Au volant de son camion, il assiste aux mutations d’un pays et de sa guerre. Homme brisé par les horreurs vécues, il devra subir le rejet de ses compatriotes lorsque sonnera l’heure de la défaite. C’est sa descente aux enfers et celle de sa famille que décide de raconter un reporter de guerre devenu son frère d’âme après les tragédies traversées « là-bas». Un thriller psychologique dur et bouleversant sur les traumatismes des soldats et les sacrifices de leurs familles, les grandes oubliées de la guerre. « Toutes les morts ne pèsent pas de la même manière sur une conscience. »

L’auteur : Née en France, dans la banlieue lyonnaise en 1974, passionnée de littérature, Estelle Tharreau est l’auteure de plusieurs romans noirs et nouvelles d’anticipation. Après avoir travaillé dans le secteur public et privé, elle se consacre désormais entièrement à l’écriture.
En 2021, elle a obtenu le Prix du roman noir du Festival de Cognac et le Prix Dora-Suarez spécial Frissons.
Extraits :
« Puis le convoi sortit des faubourgs et emprunta une route en retrait de l’agitation. L’allure s’accéléra et le pays urbain se clarifia pour faire place à une série d’immeubles inachevés coiffés de fers à béton rouillés entre lesquels les femmes tendaient des fils où flottaient au vent des étoffes bigarrées. Des gosses en guenilles jouaient dans les constructions de parpaings bruts crépis de poussière.
Ils dépassèrent de nombreuses charrettes tirées par des mulets squelettiques qui portaient les stigmates du mors et du fouet tandis que certains attendaient en plein soleil, attachés à des poteaux par un mètre de corde.
Sébastien se demandait si les défenseurs du bien-être animal auraient supporté le spectacle de ce taxi jaune et noir lancé à toute allure sur la route défoncée avec deux chèvres entravées sur la galerie ou celui de cet homme qui, malgré le ventilateur rouillé branché à une batterie délabrée posée à côté de lui pour tenter de rafraîchir sa monture famélique, lui faisait tirer une carriole dix fois plus lourde que lui.
Le décalage de lieu, de temps et de valeur était tel que tout lui semblait éblouissant. »
« Ce qu’il n’avait pas mentionné, pas plus à son chef qu’à sa femme, était, qu’au plus profond de lui, il avait peur. Pas pour sa vie, mais pour son âme. S’il avait suivi son intuition, s’il avait su ce qui l’attendait là-bas, il aurait trouvé le moyen de ne pas partir. Il aurait préservé ce qu’il était, avant de s’accoutumer à l’horreur au risque de devenir ce qu’il est aujourd’hui : une bombe à retardement. »

 

La chronique jubilatoire de Dany

Il était une fois la guerre d’Estelle Tharreau

Loin d’être dans un conte de fée ou un western spaghetti comme pourrait le suggérer le titre, nous participons à une guerre dans la tête de Sébastien, un logisticien. Certes il ne porte pas les armes mais il les livre au nom de l’Etat et dans l’indifférence générale des métropolitains. Un conflit africain par puissances financières interposées va faire sombrer Sébastien dans une quasi-démence, notamment parce qu’il se sent coupable d’abandonner un enfant, Momar, alors que tout aurait dû lui sourire. Victime d’un syndrome post-traumatique, d’une impossibilité à partager avec son entourage les atrocités dont il est témoin après plusieurs missions. Seul un reporter de guerre le comprendra. Tantôt dans la tête de Sébastien, tantôt dans celle de son épouse voire de sa fille, tantôt aussi à travers la vision de son ami reporter, le lecteur est confronté à une « boucherie » exotique, irrationnelle et malheureusement réelle. L’auteure nous confronte aux horreurs et aux absurdités, nous fait partager la descente de Sébastien, asocial au point de ne plus être capable d’un quelconque retour à la vie auprès des siens, victimes collatérales, au point d’envisager une solution ultime.

L’auteure nous offre une fin magistrale et inattendue. Elle nous surprend alors que nous ne pouvions envisager de dénouement « rationnel ».

Les gens ordinaires, victimes de leur devoir, de leur loyauté, au service de causes inavouables, inconvenantes, font don de leur conscience à la bêtise, alors que l’objectif initial était de servir un idéal et que sur le terrain tout dérape. Et dire que certains parlent de guerre propre …

Au-delà de l’inconvenance et du dégoût suscité par la situation, j’ai apprécié le ton de Estelle Tharreau pour nous happer dans ce récit noir, ce roman psychologique, cette fresque sur la France-Afrique.

Je remercie les éditions Taurnada pour leur confiance

 

Autres extraits :
« La nuit a été mauvaise. Les somnifères ne sont plus assez puissants. Il parvient encore à résister à la tentation d’augmenter sa consommation d’alcool, mais les cauchemars reviennent, toujours plus forts et atroces chaque nuit. Il ne crie pas, mais se réveille en sursaut, couvert de sueur, le cœur battant. Même au boulot, il repense aux corps déchiquetés. La moindre odeur de fumée le ramène devant ce charnier brûlant. Et parfois, au détour d’une rue, il lui semble voir Momar ou Sandreau, son mentor qui… lors de sa troisième mission… lors de l’attaque… »
« Au fond, c’est logique, Braqui. On a une armée conforme à ce dont les gens rêvent : se défendre sans armes et sans violence.
– O.K., mais comment peuvent-ils gober une connerie pareille ? On se tape sur la gueule depuis la nuit des temps.
– Je sais, mais on ne leur vend pas ça et les gens sont tellement dans la merde que ce qui se passe à l’autre bout du monde ça ne les intéresse que lorsque la concurrence étrangère leur pique leurs emplois ou quand des flots de migrants arrivent près de chez eux. »

4 réflexions sur “Il était une fois la guerre d’Estelle Tharreau

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