Papote d’auteur : Maud était avec Carl Pineau

Papote d’auteur : Maud était avec Carl Pineau

Interview exclusive 

MV : Bonjour Carl Pineau, je vous remercie de nous accorder quelques instants. Pourriez-vous nous parler votre parcours personnel et votre chemin vers l’écriture ? Les lecteurs sont très curieux.

CP : Je suis né à Nantes, j’ai vécu en banlieue jusqu’à l’âge de seize ans. Je suis d’origine arménienne par ma grand-mère maternelle et écossaise par ma grand-mère paternelle. Sans doute mon intérêt pour les voyages et la rencontre de l’autre est-il lié à ces origines multiculturelles.

Après l’ostentation du baccalauréat, il m’a fallu gagner ma vie, j’ai été embauché par une discothèque pour animer les soirées. J’en ai conservé un goût musical pour les chanteurs et les groupes des 80’s et des 90’s.

Lorsque j’ai quitté l’univers de la nuit, j’ai repris des études à l’international, puis, en alternance avec un poste commercial Europe, j’ai obtenu un DESS en Marketing.

Je crois que j’ai toujours porté le rêve d’écrire, un rêve de gamin que j’ai longtemps gardé enfoui en moi, et que j’ai commencé à réaliser en 2005, avec la parution d’un recueil de poésie, Le Silence Pèlerin, qui a reçu le premier prix de l’académie de Nantes et de Loire Atlantique.

En 2009, avec ma femme, nous avons décidé de vivre une aventure internationale avec nos deux fils, et nous avons migré vers le Québec.

J’ai suivi les cours de création littéraire de l’Université, et entamé la rédaction de l’Arménien, premier opus des Nuits Nantaises.

Aujourd’hui, ma vie se partage entre mon travail, l’écriture, la lecture et les voyages.

MV : Alors justement, abordons vos livres maintenant. La série Nuits Nantaises débute avec l’Arménien pour les années 80 et Le Sicilien dans les années 90. Comment vous est venue l’inspiration de ce thème ?

CP : L’idée initiale était d’écrire une trilogie, constituée d’intrigues autonomes qui proposent une photo de notre société sur les décennies 80, 90 et 2000, avec un policier qui s’étofferait au fil des récits : l’inspecteur Greg Brandt.

Dans l’Arménien, c’est le vent de liberté des 80’s que je voulais faire revivre. Une liberté incroyable dans une époque sans sida, sans crise économique, où les radios libres propulsaient des groupes musicaux au-devant de la scène.

Du point de vue de la délinquance, cette époque marque le début du déclin du « milieu nantais » et l’apparition des « gangs » des banlieues dans les trafics de stupéfiants.

Le Sicilien se déroule en 1995, le mur de Berlin est tombé, l’Europe s’est redessinée, certaines mafias des pays de l’Est envahissent la France.

Dans une société en crise dont les plus faibles et notamment les femmes sont les premières victimes, le Sida est devenu une réalité prégnante entraînant une résurgence de défiance envers les homos.

Le troisième opus se déroule en 2005, ce sera une autre ambiance.

MV : Vivement le 3ème volet !!! Pouvez-vous nous parler de votre façon d’écrire ?

CP : J’envisage toujours une histoire par le prisme des personnages, il faut leur donner naissance, trouver leur voix intime. Ils doivent incarner la vérité humaine de la décennie dans laquelle ils vivent ou l’archétype d’une facette d’une époque, que j’essaie de peindre au plus près, avec un style que j’espère percutant, hyperréaliste et sans « fioriture ».

Chaque scène, chaque dialogue participe certes à l’évolution de l’intrigue, mais doit aussi porter le symbole des transformations de la société et du temps qui passe.

Je travaille des voix au « Je ». Après avoir donné vie aux narrateurs, je leur abandonne les commandes sans vraiment savoir où ils vont m’emmener. D’une certaine manière, ce sont eux qui me racontent leur histoire, leurs démons intérieurs. Les racines des facettes ombres et lumières de leurs personnalités, qui les rendent plus subtiles, et plus humains j’espère.

En université, un de nos enseignants appelait cette façon d’écrire « de la schizophrénie contrôlée », cela illustre parfaitement mon état d’esprit. Ainsi, « Imposée » par les narrateurs, la fin de l’Arménien n’est pas celle que j’avais envisagée au début de l’écriture, ni même lors d’une des premières versions.

Et je crois que c’est pour cette raison qu’elle surprend autant le lecteur.

Lorsque je suis en phase de rédaction, j’y pense presque en permanence, je note des idées, des phrases, des détails, des dialogues…

Les personnages, même secondaires, me visitent dans mes rêves, ils partagent ma vie, durant un certain temps.

J’essaie d’imaginer un mobile pour tous les protagonistes, de façon à brouiller les pistes, mais aussi parce que cela démontre que chacun porte un assassin potentiel. La différence entre eux est le passage à l’acte.

Ce qui m’intéresse, ce n’est pas seulement la détermination de la « preuve », je cherche plutôt le « pourquoi humain », cette alchimie morbide et énigmatique qui fait d’une personne un assassin. 

MV : C’est vrai que vos romans vont au-delà de l’intrigue et l’enquête en elle-même, l’humain est toujours au premier plan. Une anecdote sur ce livre en particulier, l’Arménien ?

 CP : Pour ce premier opus, je suis parti d’un fait divers réel, le calvaire vécu par un jeune assassiné à la fin des années 80’s. Ce crime m’avait d’autant plus marqué que je connaissais un peu la victime, qui avait le même prénom que moi.

Des années plus tard, dans un restaurant, un serveur m’a reconnu parce qu’il était client de la discothèque dans laquelle je travaillais à l’époque. Surpris de me voir vivant, il m’a avoué qu’il était persuadé que c’est moi qui avais été tué.

 

MV : On ressent l’inspiration tirés de rencontres et de votre vécu. Une anecdote sur ce livre en particulier, Le Sicilien ?

 CP : Lorsque je m’inspire de personnes réelles, je fais toujours en sorte de modifier les noms, les physionomies et certains traits de caractère pour les rendre impossible à identifier.

J’ai dérogé à cette règle dans le Sicilien avec le disc-jockey, Eddy, figure charismatique très connue du « Nantes nocturne » des 80’s et 90’s.

Il s’appelait en fait Tonio, il sillonnait la ville avec son lévrier afghan, Margo.

Nous avons travaillé ensemble, j’espérais le revoir un jour, notamment grâce aux romans qui m’ont permis de retrouver beaucoup d’amis.

J’aurais aimé lui offrir Le Sicilien.

Malheureusement, j’ai appris cet été au hasard d’une rencontre qu’il est décédé en Suisse, il y a quelques années.

 

MV : Le personnage d’Eddy m’a beaucoup touchée. J’en parlais dans mon retour de lecture. Vos plus belles joies en tant qu’auteur ?

 CP : Les retours positifs et bienveillants des chroniqueurs et des lecteurs.

J’ai toujours envie de dire : Merci. Merci d’avoir pris de temps de lire mes romans, merci d’avoir aimé, merci pour les partages, tellement utiles à un auteur inconnu.

MV : Beaucoup de lecteurs aiment se tourner vers des auteurs inconnus (pour le moment). Vos « pires » moments ?

 CP : Un grand moment de solitude lorsque je me suis retrouvé entre des brochettes et des ballons pour une de mes premières dédicaces dans un supermarché dont le responsable hyper sympa du rayon librairie avait oublié ma venue.

J’ai failli partir. Et puis, je suis resté, le contact s’est fait avec des lecteurs.

Depuis, j’y retourne tous les ans pour les remercier.

 

 MV : Une anecdote marquante. Entre ses deux premiers volets, il y a eu un prix, quel est votre ressenti ?

 CP : Lorsque l’Arménien a reçu le prix des auteurs inconnus, j’étais ému de cette surprise. En tant qu’auteur, je suis toujours dans le doute, dans l’incertitude, rempli d’inquiétude et d’une impression d’illégitimité. J’ignore si ce sentiment disparaitra un jour. Mais peut-être est-ce finalement positif, il me pousse à peaufiner mes textes pour tenter de progresser.

Avec l’Arménien, ce qui m’a rendu le plus heureux, ce sont les belles rencontres avec des blogueurs, des lecteurs et d’autres auteurs.

Après plusieurs années à le travailler, je l’avais lâché en autoédition car je sentais qu’il me serait impossible de sortir les autres histoires en gestation si je ne lui offrais pas cette liberté.

MV : Et le passage de l’autoédition aux Editions Lajouanie, un petit mot sur cette transition ?

CP : J’ai connu les Editions Lajouanie grâce à une rencontre avec un auteur en dédicace. J’ai envoyé le manuscrit du Sicilien. Jean-Charles a été très réactif, et je suis heureux du travail éditorial que nous avons accompli. Je trouve aussi les couvertures réalisées par Caroline Lainé très réussies, elle a su allier l’esprit des Nuits nantaises aux codes des Editions Lajouanie.

J’aime l’idée d’une collection « Policier mais pas que… »

Des romans qui au-delà de l’intrigue proposent aux lecteurs une vision thématique du monde, une photo sociétale, l’expérience humaine d’un policier…

En plus du plaisir de la lecture, quelque chose qui permet de s’interroger, peut-être même de grandir.

MV : Nous avons parlé de vous en tant qu’auteur, je vais reprendre les mots de votre éditeur « Auteur mais pas que… » pourriez-vous décrire « le lecteur » que vous êtes ?

 

CP : Je suis un lecteur éclectique, je lis une soixantaine de livres par an, j’adore des auteurs comme Trevanian, James Lee Burke, John Le Carré, Henning Mankel, Don Winslow, Thomas H.Cook, Ron Rash…

L’univers sombre d’Américains tels que Dashiell Hammett, Raymond Chandler, James Crumley, Cormac McCarthy…

J’aime aussi Simenon, Leo Mallet, Jean-Patrick Manchette, Hervé Prudon…

Pour autant, il m’arrive encore de lire et de relire des classiques, André Gide, Hermann Hess, les écrivains du 19e en général.

J’apprécie la poésie pour la métaphore, je suis sensible aux surréalistes, et au saisissement de l’instant de Philippes Jacottet.

Pour me tenir informé des parutions et choisir mes futures lectures, je suis désormais un certain nombre de chroniqueurs. J’aime lire le soir, j’ai l’impression que de cette façon, l’histoire, les mots, certains détails ou des idées continuent de murir pendant mon sommeil.

MV : Je vais terminer par une indiscrétion, un projet de roman ou autre ? Et oui là c’est la lectrice compulsive qui s’exprime…

CP : Je peaufine le dernier opus des nuits nantaises qui se déroule en 2005. Greg Brandt en sera le narrateur. Après avoir côtoyé ce personnage dans les deux premiers opus, les lecteurs vont « entrer dans sa tête » et voir le monde par le prisme de son regard. Il paraîtra en juin 2020, aux Editions Lajouanie.

Je dois également reprendre Malecón, un thriller politico-financier situé entre Paris et Cuba, sur fond du scandale du Panama Papers. Un travail différent puisqu’il s’agit d’une narration au « il » omniscient. J’avais envie de m’essayer à une écriture plus distanciée.

 MV : Je vous remercie pour cet échange qui permettra à vos lecteurs de mieux vous connaître, pour ma part je suis ravie de voir que vous avez de nouveaux projets. Je vous laisse le mot de la fin :

 CP : Merci Maud pour le soutien à l’Arménien dès sa première parution, merci aussi aux chroniqueurs, journalistes, libraires et lecteurs. Merci pour ces rencontres et ces magnifiques échanges. Merci à tous les passionnés animés par l’envie de découvrir de nouveaux univers littéraires.

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