Le village évanoui de Bernard Quiriny

 

La journée Fantastique sur Collectif Polar

Le livre : Le village évanoui de Bernard Quiriny. Paru le 15 janvier 2014 chez Flammarion. 17€. (217 p.) ; 21 x 14 cm

4e de couv : 

Le village évanoui

Un beau matin de septembre, les habitants de Châtillon-en-Bierre se retrouvent confrontés à un curieux phénomène : il leur devient soudain impossible de quitter leur village. Les routes n’aboutissent plus nulle part, tout comme les coups de téléphone et les e-mails. Après la sidération du début, il faut très vite affronter des questions pratiques (comment manger, se soigner, etc.), puis des questions métaphysiques. Les Châtillonnais sont-ils désormais seuls dans l’univers ? Est-ce un signe de Dieu ?

Jouant de situations tantôt cocasses, tantôt tragiques, Bernard Quiriny signe une savoureuse fable sur la démondialisation doublée d’une interrogation sur le sens de l’existence.

 

L’auteur : Né en 1978 en Belgique, Bernard Quiriny est l’auteur de plusieurs recueils de nouvelles (Contes carnivores, Prix Rossel 2008, Prix du Style ; Une collection très particulière, Grand Prix de l’Imaginaire 2013), de deux romans (Les Assoiffées et Le Village évanoui) et d’un essai sur l’écrivain Henri de Régnier, Monsieur Spleen.

 

 

 

Extrait :
« Tous prenaient conscience que la Bierre, avec ses prés, son canal et sa rivière, représentait la totalité du monde accessible ; il était donc urgent de la connaître, comme pour s’assurer de sa réalité.
Ainsi la foule prit-elle possession des sentiers, des collines, des bois et des vallons. On redécouvrit les joies d’une promenade sur le chemin de halage le long du canal si paisible avec son eau stagnante, ses joncs frémissants et ses vues dégagées. La forêt de Vincerres, près de Biges, se remplit de familles en goguette et de marcheurs solitaires, qui coupaient dans les taillis comme pour se perdre. Chacun voulait posséder à fond la géographie du canton, tout savoir des boucles de l’Arlon et des chemins agricoles. Qui labourait ce champ ?  De quelle ferme dépendait ce pré ?  Jusqu’où s’étendait le monde ? Au bout de ces promenades évidemment, on butait sur la frontière : rangées de voitures en panne, barrières posées par la mairie, signes multiples qu’ici cessait la liberté et commençait l’au-delà.
Cet effort de réappropriation permit aux Châtillonnais de constater que leur contrée était moins petite qu’ils ne l’avaient craint. La Bierre était vaste, pleine de ressources, accueillante et tempérée ; on y serait prisonnier sans se marcher dessus, on y respirerait à son aise.  Certains, malgré tout,  supportaient mal d’y être enfermés et, se prétendant claustrophobes, tournaient en rond comme dans une cage. »
(Le village évanoui, page 61) 

La chronique Fantôme de Marianne

La campagne où se déroule le roman, le bourg de Châtillon-sur-Bierre n’existent pas mais en même temps, vous les connaissez sans doute déjà .  

Cette histoire de confinement collectif commence par un événement inexplicable : la commune de  Chatillon-sur-Bierre et quelques localités autour se retrouvent coupées du reste du monde. Les voitures tombent en panne, les routes et les chemins ne mènent plus nulle part. Les approvisionnements courants et les communications sont coupés, impossible de quitter la commune et aucune aide à attendre de l’extérieur. Les habitants vont devoir de débrouiller seuls, se débrouiller pour subvenir à leurs besoins essentiels.

 A l’intérieur de ces 15 km² de campagne française condamnée à l’autarcie et au système D, l’auteur nous plonge dans la vie d’une bourg rural d’aujourd’hui, son organisation spatiale, la vie et les comportements de leurs habitants, les évolutions en cours brutalement interrompues. Et il explore méthodiquement la variété des situations possibles, les racontant avec une précision digne d’une leçon de géographie ou de sociologie, sans la dimension didactique. Chaque habitant y joue sa partition, avec ses préoccupations, ses défauts et ses qualités… Que ce soit le maire, les commerçants, cafetier, boulanger, bouchers, les agriculteurs, les ados en perdition, le curé, le gendarme, le banquier, les artisans, les retraités, les gens de passage, citadins du bourg, habitants de fermes à ‘écart … tout le monde y trouve sa place.

Difficile de ne pas entendre les échos à notre actualité de confinement partiel et réduction des activités face à l’épidémie de COVID-19, dans la mise en évidence de notre dépendance aux systèmes de production lointains, à des compétences et des technologies extérieures, dans la description de la mobilisation du collectif face à l’imprévu et l’inimaginable, l’évocation des tiraillements entre les intérêts individuels et l’intérêt commun …

En le lisant, j’avais l’impression de me trouver devant un petit frère du Francis Rissin de Mathieu Mongin  paru en 2019 qui met en scène l’ascension politique d’un mystérieux personnage – le Francis Rissin du titre – sa  légende, sa réalité et sa dérive autoritaire, propagande insidieuse et folie des grandeurs . Il s’en rapproche avec son analyse des mécanismes sociaux et politiques, sa dimension « visionnaire » et un peu fantastique, mais sans la longueur et le jeu sophistiqué des multiples parodies littéraires. Quiriny dont la narration est linéaire déploie une connaissance très semblable des individus, et des ressorts qui les font agir, seuls ou en groupe , et use de la même logique diabolique pour décrire les conséquences des actes des uns et des autres.

Nous retrouvons aussi un dispositif d’isolement radical, révélateur des forces et des faiblesses des individus et du groupe, exploré par d’autres auteurs .  Pensons par exemple  au feuilleton  canadien Under the Dome – d’après le roman de Stephen King  dans lequel la petite ville de Chester prise au piège sous un dôme ; à la série de romans pour ados de Michael Grant, Gone, où un coin de Californie – la Zone- se retrouve coupé du monde, alors que tous les adultes ont disparu)   ou bien Le mur invisible de l’autrichienne  Marlen Haushofer , petit roman frappant qui met en scène une femme coincée dans un coin de montagne, sans aucun lien avec l’extérieur.  Il s’agit d’une variation sur la robinsonnade,  seuls ou en petit groupe , que ce soit Robinson Crusoé de Daniel Defoe,  L’ile mystérieuse ou Deux ans de vacances de Jules Verne, Sa majesté des mouches de William Golding , et l’un des ressorts aussi de  l’émission Koh-Lanta : comment pouvons-nous débrouiller quand tout ce qui fait notre monde a disparu ?   Quelle société recréons-nous alors ?

Les réactions psychologiques et politiques des individus face à la menace et à l’inconnu sont au cœur du roman de Quiriny : la peur, la colère, la désespoir, la recherche de réponses ou d’un réconfort dans la religion ou bien dans l’adhésion à une communauté sous la houlette d’un homme fort, nouveau tyran. Ici, c’est un paysan têtu et débrouillard, viscéralement opposé à la confiscation de ses terres qui organise une entité autonome et indépendante autour de sa ferme, et se retrouve quasiment dans la position d’un gourou. La communauté isolée doit faire face à ses divisions interne, aux conflits et aux risques de sécession. Elle doit aussi prendre en charge l’exercice de la justice.  Pour le curé, la situation s’avère d’abord une opportunité inouïe de retrouver ses ouailles et de recruter de nouveaux fidèles. D’autres plongent dans la dépression et dans l’alcool.  Un chroniqueur improvisé quant à lui décide de donner la parole aux Châtillonnais, et la diversité des points de vue présentée alors donne à entendre d’une autre façon le ressenti des uns et des autres – on croirait être en train d’écouter les témoignages diffusés par les journaux télévisés en avril 2020-  alors que  le livre a été publié bien avant.

Tout cela pour vous dire que le village évanoui vaut vraiment la peine d’être lu, en particulier aujourd’hui, pour prendre un peu de recul par rapport au monde d’aujourd’hui !

Pour aller plus loin : Vous pouvez aussi lire de Bernard Quiriny, Une collection particulière, un livre fascinant, dans l’esprit des nouvelles de Borges, évocation surréaliste d’un collectionneur de livres étranges et incongrus ( Grand Prix de l’Imaginaire 2013) . Un autre roman où l’absurde le dispute à la logique, le plausible à l’impossible…
Marianne D

3 réflexions sur “Le village évanoui de Bernard Quiriny

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