Des gens comme eux, Samira Sedira

Les livres oubliés de Ge

J’ai eu la bonne idée de ressortir ce roman de ma bibliothèque où il dormait depuis un peu plus de deux ans, depuis que je l’ai acheté lors de sa sortie en librairie sur les conseils du ma libraire justement. 

Le livre : Des gens comme eux de Samira Sedira. Paru le 8 janvier 2020 aux Rouergue dans la collection La brune. 16€50. (139 p.) ; 21 x 14 cm

4e de couv : 

des gens comme eux

Lorsque les Langlois arrivent à Carmac, ce village perdu dans une vallée montagneuse où tout le monde se connaît et se ressemble, ils font l’effet d’une apparition. Des gens comme eux, aussi riches, aussi heureux, on n’en fréquente pas. Ils se font construire un chalet impressionnant, face à la maison modeste d’Anna et de Constant. Entre les deux couples se noue une relation ambiguë, faite de fascination, de gêne, bientôt de jalousie, peut-être de racisme. Car Bakary Langlois est noir. Rien, toutefois, qui laisse imaginer que Constant puisse en venir à assassiner toute une famille.

Dans ce roman inspiré d’un fait divers, Samira Sedira nous fait entendre la femme de l’assassin, cette Anna qui porte l’opprobre de n’avoir rien deviné, rien empêché. Lors du procès, elle tente de comprendre la mécanique infernale qui a mené Constant, son amour de toujours, à une telle folie meurtrière, explorant aussi l’enfermement d’une petite communauté villageoise vivant en huis clos où l’autre – par sa condition sociale, sa couleur de peau, son appétit de vivre – subjugue et dérange… jusqu’au meurtre.

L’auteur Samira Sedira  est née 29 janvier 1964 à Annaba (Algérie)  Elle mène une double carrière de comédienne et d’écrivaine. Elle est aussi dramaturgue. Son premier roman, L’Odeur des planches (2013), a été interprété au théâtre par Sandrine Bonnaire. En 2019, elle a reçu le prix Exbrayat des lycéens pour La Faute à Saddam (2018).
  Extraits :
«Il n’y a pas de cimetière à Carmac. On enterre les morts dans les communes voisines. Les cadavres d’animaux, ça, on a le droit. Au pied d’un arbre, ou dans un coin du jardin. Ici les bêtes meurent où elles ont vécu, les hommes n’ont pas cette chance»
«Quand le soir tombe, à l’heure où la brume et les chaumes calcinés confondent leur fumée, et qu’au dehors tout se retire, les maisons se remplissent de bruits. On se parle d’une pièce à une autre, on raconte sa journée de travail, les voix enflent, passent au-dessus des glouglous du lave-vaisselle, de l’oignon qui rissole, des pleurs de l’enfant qui redoute l’heure du bain et de la nuit qui sépare.
C’est peut-être à cause de ce vacarme que personne n’a rien entendu le soir où ils ont été tués. On dit qu’il y a eu des hurlements, des coups de feu, des supplications. Mais les murs du chalet ont tout absorbé. Un carnage à huit clos. Et personne pour les sauver. Dehors pourtant, pas la moindre respiration du vent. Rien qu’un interminable silence d’hiver.»
«Qu’est-ce qui va pousser Constant à commettre l’irréparable ? Quel est l’élément déclencheur qui va faire bousculer un homme lambda à accomplir une telle atrocité ?»
«– Comment expliquez-vous son geste ?
– On se l’explique pas, mais… parfois, parfois je me dis qu’il a peut-être… été blessé.
– Par qui ? Par quoi ?
– Par la vie, par monsieur Langlois, quelque chose comme ça.»
« On reproche tout à une femme de meurtrier […] Celle qui, du jour au lendemain, devient “La femme du meurtrier” endosse une responsabilité presque plus accablante que le meurtrier lui-même, puisqu’elle n’a pas su déceler à temps la bête immonde qui sommeillait en son conjoint ».

                   

Le post-it de Ge :

Des gens comme eux, Samira Sedira

Une sacrée découverte pour moi, un énorme coup de cœur aussi

C’est le 4e roman de cette auteure, le premier que je lis. 

Mais alors que nous raconte « des gens comme eux » 

Les Langlois s’installent dans le village montagnard de Carnac, un bled paumé où tout le monde se connait et où tous les habitants se ressemblent. Leur richesse et la couleur de peau, noire, de Mr Langlois détonnent au sein de cette communauté. Effectivement les Langlois, Sylvia et Bakary sont un couple mixte. Ils sont beaux, ils ont de l’argent, ils ont tout pour plaire, intelligents et sexy.  Notre jeune couple noue avec leurs modestes voisins, Anna et Constant Guillot, une relation ambiguë, surtout qu’Anna est devenue la femme de ménage de la famille Langlois. De jalousies en humiliations, de convoitises en soumissions, les liens entre les deux couples sont faussés…  Jusqu’au jour où Constant, le père de famille assassine toute la famille d’à côté. Anna, sa femme, celle qu’il aime d’amour comme il ne cesse de le répéter tente de comprendre son geste fou.

Et c’est à travers sa voix que l’on va tenter nous aussi de comprendre comment ce carnage en huis clos a pu se produire.

Aussi, tout au long du roman, Samira Sedira alterne de chapitres. Tantôt le récit d’Anna qui évoque le temps passé, leur relation avec Constant, l’amour, la tendresse et aussi les moments difficiles que peut traverser un couple et tantôt les moments du procès de Constant, ceux où on essaie de percer sa personnalité, car Constant se dérobe, l’accusé deviendrai presque inconsistant. 

«Pourquoi êtes-vous allé vous laver les mains dans la rivière gelée après avoir massacré tous les membres de la famille Langlois ? Elle est à plus de cinq cents mètres du lieu du crime. Pourquoi ne pas avoir utilisé les nombreux points d’eau de la maison ? N’importe qui aurait agi ainsi, c’est logique. N’importe qui aurait utilisé le lavabo de la salle de bains, ou l’évier, dans la cuisine, ou même l’eau des toilettes ! Mais pas vous. Vous, vous avez couru comme un forcené, sans craindre d’être vu, et une fois à la rivière, vous vous êtes acharné sur la glace, parce que, avez-vous dit lors de votre déposition, il fallait absolument que vous vous laviez les mains. Avouez que tout ça est un peu bizarre, pourquoi la rivière précisément ?

Face à ton air traqué, il s’était agacé, Arrêtez de me fixer comme ça, s’il vous plaît, monsieur Guillot, et répondez !

Sa voix portait à des distances prodigieuses, c’était naturel chez lui, une tessiture qui ne lui coûtait aucun effort. Toi, tu te taisais, le fixant obstinément, seules tes lèvres palpitaient.

Le silence comme une invite à soulager ta conscience ne faisait qu’accroître ton malaise. En toi alternaient des sentiments contradictoires : l’envie de parler menait fatalement à l’incapacité de formuler la moindre explication. Acculé, tu n’as trouvé d’autre échappatoire que de sourire bêtement. En réalité, tu n’avais aucune réponse à lui donner, et ton mutisme résonnait comme la désolation qui accompagne les grands désastres. Pour la première fois depuis le début de ton procès, j’ai eu pitié de toi.

L’avocat général qui avait reçu ta réaction comme un affront personnel (il fallait s’y attendre) s’est aussitôt levé de sa chaise, À votre place, et dans votre intérêt, monsieur Guillot, je m’abstiendrais de sourire ! »

 

Samira Sedira ne juge pas, elle décrit juste avec finesse les mécanismes des relations et des inégalités sociales. Elle expose les faits, les ambiguïtés, les sentiments exacerbés. Pouvoir, argent, convoitise, jalousie, trouble, envie, domination, racisme, asservissement, violence, cruauté, rien n’est aussi simple qu’il n’y parait, tout n’est pas blanc ou noir. Car toujours tout en délicatesse, notre autrice nous offre à travers ses pages une parfaite analyse sociologique de la France d’aujourd’hui. 

C’est magnifiquement écrit. C’est d’une justesse toute simple et pourtant Samira Sedira nous offre un roman percutant, troublant. C’est magistral et saisissant. J’ai adoré ce bouquin peut-être parce qu’il m’a aussi fait penser à deux autres titres que j’avais aussi adoré, le « de sang-froid » de Truman Capote et « l’Adversaire » d’Emmanuel Carrère.

C’est certain, je renouerai avec l’écriture de Samira Sedira, surtout qu’un de ses autres livres me fait de l’œil. Et après un tel coup de cœur je ne peux que vous conseiller de lire, vous aussi, « Des gens comme eux »

 

 

Autres extraits 
« Dans la confusion où je me trouvais, je me suis sentie coupable, au même titre que toi. Comme si le simple fait d’être ta femme m’incriminait d’office. Les larmes me sont immédiatement montées aux yeux. Le calme feint que j’avais réussi à composer jusqu’à présent, au prix d’efforts considérables, avait rompu comme du bois mort. Je n’étais qu’un bout d’humanité tremblante. Une meurtrière par procuration.
On reproche tout à une femme de meurtrier : son sang-froid quand elle devrait montrer plus de compassion ; son hystérie quand elle devrait faire preuve de retenue ; sa présence quand elle devrait disparaître ; son absence quand elle devrait avoir la décence d’être là, etc. Celle qui, du jour au lendemain, devient « La femme du meurtrier » endosse une responsabilité presque plus accablante que le meurtrier lui-même, puisqu’elle n’a pas su déceler, à temps, la bête immonde qui sommeillait en son conjoint. Elle a manqué de perspicacité. Et c’est cela qui va la faire tomber en disgrâce, son odieux manque de perspicacité.»
«C’est au cours de cette nuit affreuse que j’ai réalisé que tu étais devenu indissociable de moi, puisqu’un jour je t’avais aimé et que l’histoire de ta vie avait rejoint l’histoire de la mienne dans un irréparable malheur.»

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2021 au 11 Juillet 2022) ;  

Le Challenge « Le tour du monde en 80 livres » chez Bidb (France).

et le challenge Les dames en noir chez Zofia

11 réflexions sur “Des gens comme eux, Samira Sedira

  1. Je ne sais plus si j’ai lu l’Adversaire (au lycée il me semble) mais j’avais bien apprécié le film. En tout cas celui-ci me tente bien Ge grâce à ta chronique. Il me rappelle fortement l’affaire Flactif, j’imagine d’ailleurs que c’est de ce fait divers que s’est inspirée l’auteure. Une histoire horrible, j’étais enfant quand c’est arrivée mais je me souviens avoir vu les médias en parler très souvent, surtout quand le coupable passait aux infos en faisant l’ignorant… Ça m’a marqué. En tout cas, merci Ge pour cette découverte 🙂

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