La GAV : Frédéric Lepage sous le feu des flingueuses, troisième et avant dernière audition. 3/4
Suite de la Garde à vue de Monsieur
Frédéric Lepage
3e interrogatoire par Fanny Haquette
La GAV, Garde à vue d’un auteur par Collectif polar c’est : 4 interviews d’un même auteur par 4 flingueuses différentes.
La GAV c’est des interviews en direct, du vrai live, en conditions réelles.
Durant 2 jours nous kidnappons en quelques sorte un auteur de polar.
Nous lui demandons de nous consacrer au minimum 4h de son temps sur les deux jours que dure la Garde à Vue.
Et durant ce temps nous lui posons une série de questions en batterie auxquelles il ou elle doit répondre instantanément. Nous ne lui laissons pas le temps de réfléchir à ses réponses. C’est un échange en live. Comme sur un plateau, sur un salon. C’est pas préparé, ce que l’on recherche c’est la spontanéité. Et croyez moi au réveil ou en fin de journée, nos auteurs sont comme nous, soit pas bien réveillés soit crevés de leur journée. Et là nous les cueillons !
Nous recueillons leurs confidences.
Et c’est celles-ci que nous vous proposons en direct live. ( enfin presque juste en léger différé).
Nous allons vous proposer la retranscription de ces 4 interrogatoires sur 2 jours, 1 en matinée et un le soir entre hier matin et cet après-midi
Allez, place à la GAV de Frédéric Lepage
—————–séquence 3 ——————
09:59
Fanny : Hello, le prévenu est-il réveillé ?
Frederic : oui ; bonjour
Fanny : Super, asseyez-vous, nous allons pouvoir commencer. Attention, on vous suit toujours derrière la vitre.
Hello @Danièle Ortega-Chevalier
Dany : J’étais de perm cette nuit et il n’a pas arrêté de ronfler …
Frederic : je connais le principe
Fanny : Génial…
Frederic : les gardiens m’ont à la bonne, ils m’ont offert une double ration de soupe au lard
Fanny : Oui d’après votre dossier je vois que vous êtes un habitué. Je ne suis pas aussi gentille qu’eux !
Frederic : j’envisage de rester « en résidence »
Fanny : C’est NOUS qui décidons !
Commençons.
Frederic : ok
Fanny : J’aimerai savoir pourquoi les animaux, d’après les interrogatoires d’hier, ce thème est ressorti pour moi.
Frederic : ah, oui, bien sûr … J’ai produit pour la télévision des documentaires dans bien des genres. Mais le genre animalier m’a fait découvrir des problématiques philosophiques passionnantes, parce qu’elles nous ramènent à la question de notre propre identité, à travers l’idée que nous nous faisons de la frontière entre notre monde et celui des animaux. J’ai toujours spéculé sur l’idée que la frontière était très mince, et que trouver ce qui fait de l’homme un « être à part » est un défi très difficile.
Fanny : Donc est-ce dû au hasard que vous vous soyez dirigé vers eux et qu’ensuite cette pensée philosophique a cheminé en vous ? Ou était-elle cachée bien au fond ?
Frederic : qu’est-ce qui fait ce qu’on appelle l’exception anthropologique ? Le langage, la culture, les émotions, l’utilisation d’outils ? Chaque fois qu’on trouve un élément différenciant, il est balayé par la science. Aujourd’hui, tout ce qu’on sait vraiment, c’est que l’homme est un animal parmi les animaux. J’ai toujours trouvé ces thèmes passionnants, et j’ai eu envie de les traiter à travers le prisme du thriller.
En effet, où peut-on mieux se demander ce qui relève de notre animalité et ce qui dépend de notre humanité ? C’est ainsi qu’est né le sujet de Si la bête s’éveille. L’assassin est-il mû par son côté animal ou par son statut d’humain.
Geneviève : Ce thriller est fait pour moi, décidément
Frederic : C’était aussi un moyen de s’attarder sur ces clichés qu’on trouve dans les romans sur les crimes commis « bestialement ».
Fanny : Vous vous sentez donc proche du monde animal ? Jusqu’à quel point ? Une immersion en forêt ?
Frederic : Nous ne sommes pas « proches du monde animal ». Nous en faisons partie intégrante, en tant qu’animaux…
Je crains, Madame, que ma réponse à la question que vous venez de me poser puisse être retenue contre moi.
Ai-je droit au silence ?
Fanny : Non pour sortir faut répondre aux questions.
Intéressant. Et pensez-vous qu’ils pensent pareil que vous ? Qu’ils nous considèrent comme appartenant à leur règne ?
Frederic : Je réponds donc à votre question précédente, sur l’immersion en forêt. Bizarrement, j’aime avant tout la ville. La nature, pour quoi je plaide en permanence, m’ennuie. Je pense que les conservatismes naissent à la campagne, que les fanatismes naissent dans le désert, et que la civilisation naît dans les villes. Ouï, moi qui ai produit des centaines de documentaires sur la nature, j’aime les villes, leur chaos apparent, leur vibration. Je me sens mieux à Hong Kong, Sao Paulo ou New York qu’en Amazonie ou dans la savane du Serengeti. D’où l’idée d’étudier, dans mon dernier livre, la question de l’animalité de l’homme au cœur d’une mégapole.
Fanny : On reste toujours dans le coté bestial de l’Homme en fait.
Frederic : Oui, absolument. Mais le mot « bestial » me gêne, car on l’a chargé d’un poids négatif qui prête aux animaux des instincts de tueurs. Il a été prouvé que les animaux sont capables de compassion. Des expériences l’ont démontré. « bestial » fait partie du vocabulaire et des clichés qu’inspire une vision superficielle du monde animal.
Fanny : Oui mais ils tuent pour se nourrir et avoir le « pouvoir » pour certains. On retrouve bien cela chez l’Homme également.
Frederic : Oui, absolument
Fanny : Et donc pensez-vous qu’ils pensent comme vous ? Que vous appartenez à leur monde ?
Frederic : La manière dont vous formulez cela est intéressante. On pourrait presque croire, comme vous le dites, que c’est leur part « humaine » qui les rend criminels.
Je ne saurai jamais si un animal « pense », et a fortiori s’il « pense comme moi ». Ce que je sais, et qui est scientifiquement prouvé, c’est qu’il existe un facteur universel, qui transcende les différences indicibles entre eux, les animaux, et nous. C’est la souffrance. On sait désormais que l’expérience de la douleur est la même chez l’ensemble des mammifères : à l’exception, sans doute, de la souffrance qu’inspire la perspective de la souffrance, mais là on entre dans la philo.
Fanny : Indicible ? Vraiment ?
Frederic : oui, car nous ne pouvons partager rien d’autre avec les animaux. Nous ne savons pas quelle est la nature de leurs émotions. Nous savons seulement qu’ils peuvent souffrir comme nous.
Je ne poursuivrai pas sur cette piste, car cela va donner de moi l’image d’un intello rébarbatif, et rien de tel n’apparaît dans mes écrits, je crois
Fanny : Pas du tout, je trouvais cela intéressant.
Frederic : Votre indulgence me confond
Fanny : Le monde animal est un sujet vaste. Autant que celui de l’Homme. Juste une dernière question sur ce sujet, avez-vous eu des animaux enfant ? Ou en ce moment ?
Frederic : J’ai passé un peu de temps à la campagne, enfant. Quand je prenais mon petit déjeuner face à la fenêtre ouverte, du côté d’Orthez, dans le Béarn, il arrivait qu’une vache vienne lécher ma confiture. Et j’ai eu un chien, Idaho, qui a partagé ma vie pendant 16 ans.
Fanny : Ah j’imagine bien, c’est top ça. Quelle race ?
Frederic : blonde d’Aquitaine, bien sûr, si vous parlez de la vache, sinon, pour le chien, un mélange étrange de braque de Weimar, labrador et griffon
Fanny : Ok, je parlais du chien. Donc enchainons sur un autre sujet, le Japon. Pouvez-vous nous parler de vos complices et de votre vie là-bas ?
Frederic : Le Japon ? J’ai travaillé avec la chaîne de télévision publique NHK depuis très longtemps. Ainsi qu’avec le plus grand compositeur japonais après Ryuchi Sakamoto, Joe Hisaishi, oui, celui qui a composé les musiques des films de Hayao Miyazaki et de Takeshi Kitano. Donc, de très nombreux séjours au Japon, dont j’aime l’univers codé et hyper policé. Un peuple, aussi, animé de complexes contradictoires, supériorité et infériorité.
Fanny : Quelle ville préférez-vous ?
Frederic : Tokyo, toujours ma préférence pour les villes géantes. Mais, au-delà du Japon, c’est avec l’Asie en général que j’ai des relations privilégiées. On me connait en Chine sous le nom de Balixiaofe pour avoir écrit le premier guide touristique de la France créé spécialement pour les Chinois, qui raconte la France selon leur propre prisme culturel.
J’ai une passion désormais douloureuse pour Hong Kong. J’ai coproduit des programmes avec la Corée et Singapour. Un deuxième domicile à Bangkok, des amis en Birmanie et au Cambodge, etc.
Mes livres sont traduits en japonais et en coréen. J’aime le dynamisme de ce continent, son optimisme, son énergie. Tout bouge, vibre, se transforme. Il faudra qu’un jour j’en fasse le cadre de mes livres…
Fanny : Tokyo au-dessus ou sa vie grouillante en-dessous ?
Frederic : Tokyo au-dessus. Comme le miroir, vous avez raison, de ce qui est en dessous
Fanny : Mais Tokyo au-dessus ne peut-être Tokyo sans le dessous.
Vous vous sentez mieux donc en Chine.
Frederic : C’est là le paradoxe du Japon. Les grouillements souterrains, les cadres qu’on retrouve ivres morts le vendredi à partir de 19h dans les caniveaux de Shinjuku, les « hikilomori » qui s’enferment chez eux pour n’en jamais ressortir, tout cela est symétrique à la vie ensoleillée du dessus. Je me sens bien dans toute l’Asie confucianiste (le confucianisme est l’un des seuls facteurs unifiants du continent).
J’ai espéré que la Chine emprunterait un autre chemin, et j’en suis déçu, mais quelle civilisation riche, puissante, inspirante ! Cinq millénaires de génie et de soubresauts
Fanny : Oui. Et au final pourquoi la Thaïlande pour une résidence secondaire ?
Frederic : Mais comment savez-vous que j’ai un tropisme asiatique ? Bangkok est un point central d’où on peut rayonner vers toute l’Asie du Sud-Est, et une étape qui rapproche de l’Asie de l’Est.
Je suis désolé, mais l’Asie n’a pas de rapport avec ce dont vous m’accusez
Fanny : Vous avez évoqué le Japon hier, simple curiosité. Nous voulons tout savoir !
Frederic : ah, d’accord
Fanny : Si ! Vos complices sont partout ! Justement, lisez-vous des auteurs asiatiques ?
Frederic : Mishima, bien sûr, Ogawa, les polars chinois
Fanny : Qu’aimez-vous chez eux ?
Frederic : les aventures du juge Bao, par exemple. J’aime qu’un récit me transporte ailleurs, m’éloigne de moi-même. C’est sans doute la raison pour laquelle mes romans ne se passent pas en France. J’aime faire voyager le lecteur, l’emmener avec moi, être son guide, par exemple à New York, comme dans Si la bête s’éveille.
Si la bête s’éveille
Au Dakota Building, immeuble célébrissime et maudit de New York, une adolescente est assassinée entre les murs d’une pièce fermée de l’intérieur. L’un des enquêteurs, Adam, paralysé à la suite d’un inexplicable règlement de comptes, ne peut se résoudre à abandonner cette affaire. Bloqué chez lui, cloué à son fauteuil roulant, il est entièrement dépendant d’une assistante de vie très particulière, Clara, un singe capucin. Très vite, l’hostilité farouche de l’animal à son encontre fait de son quotidien un enfer, jusqu’à ce qu’il parvienne à comprendre ses motivations. Et si l’on pouvait, de la même manière, décrypter la part animale du comportement des criminels ?
La méthode d’Adam permettra-t-elle d’identifier le meurtrier du Dakota avant qu’il ne fasse une autre victime ?
[…] les curieux, notre GAV et ses 4 auditions sont à retrouver Ici, Là, Ici encore et enfin […]
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